Dans le jus - Le travail de La Cimade autour du genre22 juillet 2016 | La Cimade a travaillé
ces dernières années sur la question du genre, en essayant de comprendre l’impact
des discriminations liées au genre sur les personnes que nous accompagnons et de
contribuer à la mise en œuvre de politiques plus égalitaires. Cette réflexion nous
amène à interroger nos propres pratiques, dans lesquelles nous intégrons
parfois, malgré nous, une inégalité de traitement. Quelles pistes pour en
prendre conscience et y remédier ?
La session nationale de 2013 à Lyon a été consacrée à la question du genre. Ce moment a été l’occasion de mesurer la difficulté pour les cimadien.ne.s de bien comprendre cette notion et d’en saisir toute l’importance et les enjeux. La session ayant soulevé plus de questions qu’elle n’avait apporté de réponses, La Cimade a mis en place un groupe de travail sur le sujet, chargé de rendre plus concrètes les réflexions soulevées et de proposer des pistes d’actions. « L’un des premiers constats que nous avons faits, c’est que nous-mêmes, à La Cimade, nous sommes parfois pleins d’idées reçues et de préjugés, sans nous en rendre compte » constate Violaine Husson, chargée des questions femmes et personnes victimes de violences au siège. « C’est vrai y compris pour des personnes sensibles à cette question, mais qui n’ont pas forcément l’occasion de prendre la distance nécessaire. Le travail de ce groupe nous a donc permis de nous interroger sur nos manières de fonctionner. » Le groupe de travail a réalisé que prendre en compte le genre dans nos actions nous permettrait de mieux défendre les droits des personnes que nous recevons. Il a alors pointé plusieurs éléments sur lesquels travailler : la communication de La Cimade, les pratiques des cimadien.ne.s dans les permanences, le contentieux, le plaidoyer… Avec pour objectif final de faire bouger les lignes et d’œuvrer pour des politiques moins stigmatisantes et plus égalitaires. « Par exemple, nous nous sommes rendus compte que quand une femme migrante vient nous voir dans une permanence, la plupart du temps on ne lui pose pas les mêmes questions qu’à un homme. » explique Violaine Husson. « On lui demande d’abord si elle a des enfants, de la famille, alors que pour un homme l’une des premières questions portera sur le travail. Cette première approche va ensuite influencer nos conseils, et donc la façon dont on accompagne la personne. » « Autre exemple, dans nos permanences on a tendance à valider les pratiques des préfectures en voulant prouver que le père est vraiment papa, et en collectant des justificatifs montrant qu’il s’occupe de l’enfant, alors que pour les mères on ne demandera pas la même chose. Le lien maternel est considéré comme plus évident par les préfectures, et sans doute dans notre inconscient aussi ! C’est une autre forme de discrimination. » La lutte contre les discriminations liées au genre passe donc par une analyse de nos propres pratiques, en nous demandant si nos conseils sont différents selon qu’on reçoive un homme, une femme, un jeune mineur. Une autre piste est de réfléchir à nos formations, aux cas pratiques que nous proposons, ou encore à nos façons d’accueillir l’autre. La façon dont nous communiquons est également un sujet de réflexion intéressant, en nous demandant de qui nous parlons quand nous parlons de personnes étrangères. « Souvent dans les médias, on parle de « l’étranger », du « migrant », alors que la part féminine de la population est aussi importante. C’est une façon d’entretenir une image faussée du phénomène migratoire, en mettant en avant l’homme seul qui vient travailler en Europe, image qui peut parfois faire peur. » constate Violaine Husson. « Mais à La Cimade, malgré notre souci égalitaire, nous ne sommes pas forcément en reste : dans les portraits que nous faisons il y a souvent plus d’hommes, quand il y a des femmes elles sont généralement représentées avec des enfants… Depuis quelques années il y a un vrai effort pour prendre en compte cette question dans notre communication, mais dès que la vigilance baisse, on retombe dans les stéréotypes de genre très facilement. Eviter cet écueil nécessite de l’avoir constamment en tête. » Par ailleurs, au-delà des pratiques de La Cimade, le groupe de travail s’est interrogé sur les discriminations induites par les textes de loi, et la façon de les faire évoluer de façon plus égalitaires. « Les textes ne sont pas discriminants en tant que tels, mais dans la pratique, en ne tenant pas compte des inégalités existantes entre hommes et femmes, ils pénalisent les femmes. Par exemple une personne en situation régulière est soumise à des critères notamment financiers pour accéder à une carte de résident. Pour une majeure partie, les femmes migrantes ne peuvent presque jamais y répondre car en tant que femme et étrangère, elles travaillent généralement à temps partiel, dans des secteurs moins bien rémunérés, parfois avec plusieurs employeurs. Du coup, elles n’ont jamais le niveau de ressources suffisant pour avoir une carte de 10 ans » déplore Violaine Husson. Partant de ce constat, le groupe de travail s’est interrogé sur la façon de faire changer les textes. Lors des débats sur la nouvelle loi immigration, La Cimade a donc proposé un certain nombre d’amendements pour tenter de faire bouger les lignes. « Ainsi, nous avons proposé un amendement sur le droit au séjour des parents d’enfants malades. Jusqu’ici, seul un parent pouvait accéder à ce titre, et dans les faits c’était généralement la mère. Nous avons donc demandé que les deux parents puissent accéder au titre, en faisant valoir une discrimination liée au genre. Cet argument, nouvellement présenté sous l’angle de la discrimination, a été repris par pas mal de parlementaires, et l’amendement a été voté ! » Les possibilités d’actions et d’évolutions sont donc multiples, à La Cimade et en dehors, sur le court et le moyen terme. C’est pourquoi le groupe de travail a abouti à une note d’intention, diffusée en avril 2016, « De la vigilance sur le genre à la lutte contre les discriminations », visant à définir les points de vigilance les plus importants, à poser des constats et à lister des propositions d’actions. D’ores et déjà, il a été décidé de mettre en place un travail d’observation dans nos permanences, qui sera mené par une sociologue, afin de nous aider à pointer du doigt les difficultés liées au genre dans la façon dont nous accueillons les personnes. Le mouvement sera tenu informé du résultat de ce travail d’observation. Les membres du groupe de travail proposent par ailleurs à tout groupe local ou région qui le souhaite de se déplacer pour présenter la note, partager leurs réflexions et échanger sur les actions à mener. Enfin, en parallèle de cette réflexion autour du genre, un travail est également mené par La Cimade sur la question de l’accès à l’emploi des personnes migrantes et notamment des femmes qui, en plus de subir des discriminations liée à la nationalité et à la situation administrative, tout comme les hommes, font face à des obstacles liés au fait d’être femme. Des propositions pour lutter contre les discriminations dans ce domaine devraient bientôt être formalisées, servant d’appui à un plaidoyer en faveur de politiques moins stigmatisantes et plus égalitaires. |