L'actu du moment - L’action de La Cimade à Grande-Synthe25 octobre 2016 | Depuis cet
été, La Cimade a lancé une action de terrain dans
le Nord près du camp de Grande-Synthe. Dans un contexte
troublé et la perspective imminente du
démantèlement de la jungle de Calais, une équipe
se mobilise pour apporter des réponses juridiques aux personnes
exilées.
Elaboration et démarrage du projet Le camp de Grande-Synthe, construit par Médecins sans
Frontières en partenariat avec la mairie de cette petite commune proche de
Dunkerque, a ouvert en mars dernier sous le feu des projecteurs médiatiques.
Elle voit intervenir de nombreux acteurs associatifs travaillant sur différents
champs d’action : soins médicaux, accompagnement social, distribution de
nourriture… La PSM (Plateforme de Services aux Migrants, qui coordonne l’action
des associations intervenant dans la région) a alors fait le constat d’un
manque d’acteur spécialisé dans l’information juridique sur le littoral
Dunkerquois, contrairement à Calais où plusieurs associations sont mobilisées
sur le sujet. La Fondation Abbé Pierre, désireuse de porter des actions à
destination des personnes migrantes du Calaisis, a alors décidé de financer la
mise en place d’un point d’accès aux droits à Grande-Synthe, afin de répondre
au besoin des personnes exilées hébergées dans le camp ou dans les environs, et
a proposé à La Cimade de coordonner cette action (voir notre article dans la
Cimadine du mois d’avril)
Le projet a démarré le 1er juillet, avec pour
objectif de mettre en place un accès aux droits fiable, efficace et adapté. Les premières semaines ont été consacrées à sa mise en
place, dans un contexte particulièrement difficile. « Une
particularité du camp de Grande-Synthe est qu’il est tenu par des passeurs »
explique Magali De Lambert, coordinatrice d’accès aux droits à Grande-Synthe.
« Les personnes exilées du camp
vivent sous leur emprise, ce qui met beaucoup de tension au sein du camp et
dans leur rapport avec les associations. Les passeurs n’ont pas intérêt à ce
qu’une information juridique soit mise à disposition des personnes exilées, et
la mise en confiance est très longue. » Compte tenu de ce contexte, il a été décidé que le point
d’accès aux droits serait placé en ville, et non pas à l’intérieur du
camp : « Il y a eu un consensus
associatif là-dessus, pour protéger à la fois les personnes exilées et l’équipe
qui se chargerait de dispenser cette information juridique ». L’une des premières nécessités a donc été de créer des liens
avec les acteurs associatifs et sociaux intervenant à l’intérieur du camp, afin
qu’ils puissent diriger les personnes vers ce point d’accès aux droits. Une autre a été de constituer une équipe de bénévoles, qui
compte aujourd’hui 5 personnes. Le point d’accès aux droits a ouvert au public le 1er
septembre, avec des permanences sans rendez-vous deux fois par semaine (le
lundi après-midi et le mardi après-midi). Il accueille environ 2/3 de personnes
exilées du camp, et 1/3 de personnes étrangères venant du littoral dunkerquois,
plutôt sur des questions de séjour. Le public du camp de Grande-Synthe, du fait de sa situation
particulière, induit un travail d’urgence en décalage avec le travail habituel
de La Cimade dans une permanence « traditionnelle ». « Les personnes exilées
du camp ne vivent pas la même réalité que les autres » constate Magali
de Lambert, qui fut membre du groupe local de Lille pendant plusieurs années
avant de devenir coordinatrice du point d’accès aux droits de Grande-Synthe.
« Ils vivent coupés du monde, dans
une situation d’urgence humanitaire. Grande-Synthe est pour eux un lieu de
transit, leur projet migratoire étant de se rendre en Angleterre le plus
rapidement possible. Du coup, avoir une information juridique les intéresse,
mais ils la veulent tout de suite, car ils ne savent pas s’ils seront là demain.
Ils pensent au passage qu’ils vont tenter le soir-même et n’arrivent pas à se
projeter sur les jours suivants. » Cette exigence d’immédiateté est
d’autant plus forte que les autres acteurs présents sur le camp, pour beaucoup
des acteurs d’urgence, répondent pour leur part à des besoins primaires et
s’efforcent de le faire de façon immédiate. Le travail en
partenariat, un enjeu clef Une vraie pédagogie est nécessaire vis-à-vis de ces autres
acteurs associatifs, qui en l’absence de partenaire juridique pendant les
premiers mois, ont pris l’habitude de répondre à toutes les questions
elles-mêmes, comme elles le pouvaient. « La Cimade a une vraie légitimité, ce qui facilite les choses. Mais il y
a quand même tout un travail à mener pour leur faire comprendre comment nous
fonctionnons et pourquoi. Par exemple certains ont du mal à comprendre que nous
ne soyons pas à l’intérieur du camp. Le travail conjoint est difficile à mettre
en place et à maintenir, la collaboration est irrégulière. Et pourtant, elle
est très importante pour nous, car ce sont les associations présentes dans le
camp qui orientent les personnes exilées vers la permanence : ils viennent
rarement spontanément, rebutés par les 25 minutes qui séparent la permanence du
camp ». Dans les faits, les membres de l’équipe de La Cimade font eux
aussi des allers-retours incessants entre le camp et la permanence, pour mieux
établir et maintenir les liens à la fois avec les personnes exilées et avec les
associations. Pour faciliter le travail des autres acteurs de terrain, La
Cimade a créé un outil en partenariat avec la PSM, les « fiches
réflexes ». A destination des bénévoles présents sur le camp, ces fiches
portent sur des questions très précises : qu’est-ce qu’une OQTF, comment
demander l’asile en France, que faire en cas d’arrestation, que faire face à
une personne victime de violences ? … Elles donnent une première
information, indiquent que faire et vers quel acteur associatif se tourner. Autre partenariat précieux, une convention a été signée avec
le CDAD (Conseil départemental d’accès au droit), qui a mis à disposition une
élève avocate stagiaire, 3 jours par semaine, chargée notamment d’orienter vers
des avocats spécialisés si besoin. La convention prévoit également la mise à
disposition d’une permanence téléphonique par des avocats en droit des
étrangers pour répondre à des questions spécifiques. Une situation en
constante évolution Les évolutions de la situation sur le camp sont très
rapides, ce qui implique pour La Cimade de s’adapter sans arrêt à de nouvelles
données. « En juillet,
quand je suis arrivée, le camp était ouvert à tous » raconte Magali De
Lambert. « Par la suite, il a été
réservé aux personnes vulnérables : femmes, enfants et familles.
Aujourd’hui, il est officiellement complet, théoriquement aucune nouvelle
personne ne peut rentrer. Mais cela reste un centre ouvert, contrairement à
celui de Calais, donc dans les faits les personnes continuent à rentrer par le
biais des passeurs. » Si le nombre d’exilés présents dans le camp
avait nettement diminué pendant l’été (700 personnes en juillet-août), il a
réaugmenté en septembre et surtout en octobre pour atteindre 1100 personnes
aujourd’hui : « Nous supposons
que c’est une conséquence du démantèlement annoncé de la jungle de Calais. Le
nombre de personnes continue de grimper et la Mairie se retrouve prise en étau,
et dans un bras de fer avec la préfecture qui a toujours été contre l’ouverture
de ce camp. » Sur les questions juridiques, le champ d’intervention est souvent
différent d’une permanence classique. « Les personnes veulent des infos, mais ce n’est pas forcément dans
l’objectif d’entamer une démarche, puisqu’elles ne souhaitent pas rester en
France » explique Magali De Lambert. « Nous montons beaucoup moins de dossiers ». L’équipe est par ailleurs souvent confrontée à des
problématiques particulières au camp qui relèvent du pénal et non du droit des
étrangers : passeurs, trafic… L’un des gros sujets de mobilisation de La Cimade
actuellement concerne la prise en charge des mineurs. « Il y a des mineurs non accompagnés dans le
camp, et rien n’est fait pour eux. En général ils ne veulent pas être pris en
charge dans un dispositif d’aide à l’enfance car leur but est de tenter le
passage en Angleterre. Mais pour autant, aucune prise en charge spécifique
n’est prévue pour eux à l’intérieur du camp. Nous avons mis en place une
information juridique collective destinée aux mineurs, c’est la seule action
menée par La Cimade à l’intérieur du camp. Mais évidemment c’est totalement
insuffisant. Nous avons donc interpellé le Conseil départemental sur cette
question, doublés de signalements au Parquet, et sans réaction de leur part
nous envisageons de saisir le Défenseur des Droits. » La question de la réunification familiale est un vrai sujet
de bataille politique et juridique, tant pour les mineurs que pour les majeurs
car beaucoup ont de la famille en Angleterre. Depuis un mois et demi, La Cimade
pousse la préfecture à ouvrir cette voie légale. « Nous nous sommes saisis du cas d’un mineur et de 3 familles pour
lesquelles nous nous battons auprès de la préfecture. Mais les personnes ne
comprennent pas que ça puisse prendre autant de temps. Du coup, depuis un mois
et demi, une famille est déjà passée en Angleterre. Les autres constatent que
finalement, ça va plus vite de passer, et se découragent d’attendre une voie
légale… Il y a urgence ! » L’action de terrain
de La Cimade vient ainsi compléter et alimenter utilement son rôle de vigilance
et d’interpellation des pouvoirs publics sur la question du littoral. A l’heure
du démantèlement de la jungle de Calais, cette complémentarité est
particulièrement précieuse pour assoir sa légitimité, et pouvoir défendre au
mieux des droits des personnes exilées. Plusieurs démarches
sont par ailleurs engagées au niveau national en lien avec le démantèlement de
Calais ou plus globalement la situation dans le Calaisis. Parmi elles : - La constitution d’un groupe de travail
inter-régional « littoral » associant les régions Cimade de Bretagne
Pays-de-Loire, Normandie et Nord-Picardie, et le national, de façon à
développer une approche et une action concertées sur l’ensemble du littoral
Nord où survivent des personnes migrantes dans l’attente d’un passage en Grande
Bretagne, et dont le nombre devrait s’accroitre avec le démantèlement de la
jungle de Calais. - Un plan d’action en termes de contentieux,
communication et plaidoyer sur la rétention, pour anticiper l’enfermement des
personnes migrantes qui refuseraient un placement en CAO (Centres d’Accueil et
d’Orientation) - Une page spécifique d’information sur le site
internet de La Cimade concernant le démantèlement de Calais et ses
conséquences, alimentée notamment par la collecte de données et témoignages qui
seront récupérées auprès des régions Cimade. Rendez-vous donc sur
notre site Internet pour suivre l’évolution de la situation dans les jours qui
viennent.
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