Le littoral est
aujourd’hui l’un des endroits les plus
révélateurs des conséquences des politiques
européennes et de la violence qu’elles engendrent pour les
personnes migrantes. Alors que les feux des projecteurs
médiatiques se sont peu à peu détournés de
la côte nord suite au démantèlement de Calais, La
Cimade a décidé de mener une mission
d’observation, mobilisant le national et les régions
concernées, pour faire un état des lieux de la situation
sur le littoral et des besoins auxquels pourrait répondre
l’association.
Le littoral : émergence d’une situation alarmante
Au cours de l’année 2016, alors
que la situation à Calais devenait de plus en plus explosive, La
Cimade a été alertée en parallèle par une
augmentation des placements en rétention depuis plusieurs villes
portuaires du littoral breton et normand. Le CRA de Rennes, dans lequel
intervient La Cimade, a été particulièrement
concerné, avec une explosion du nombre de placements qui
l’a même amenée à se retirer du CRA pendant 3 jours en avril,
du fait de la détérioration de ses conditions
d’exercice. Dans le même temps, l’association a
été sollicitée par plusieurs collectifs de soutien
aux exilés agissant dans différentes villes le long du
littoral ou à proximité de celui-ci, témoignant
d’un nombre croissant de personnes exilées tentant de
trouver un point de passage vers l’Angleterre autre que Calais.
L’annonce d’un démantèlement du camp de
Calais pour la rentrée n’a fait qu’accentuer ce
phénomène.
La Cimade a donc décidé de coordonner une mission sur le
littoral, afin d’y rencontrer les acteurs défendant les
droits des personnes migrantes. « L’idée
était d’entendre leurs constats sur la situation dans les
villes portuaires, et aussi de mesurer leurs besoins »
explique Marine De Haas, chargée des questions
européennes pour La Cimade et coordinatrice de cette mission.
« Nous voulions évaluer
dans quelle mesure La Cimade était susceptible de soutenir
l’action déjà menée par les acteurs locaux,
et sous quelle forme ». Le
démantèlement de Calais ayant finalement
été programmé pour fin octobre, la mission
permettait également d’évaluer ses possibles
incidences sur le littoral.
Une délégation s’est donc rendue mi-novembre
à Cherbourg et à Caen (ville portuaire de Ouistreham), sa
composition mixant différentes expertises Cimade : Marine De
Haas, sur les questions européennes ; Magali De Lambert,
coordinatrice de l’accès aux droits à
Grande-Synthe, pour son expérience d’accompagnement des
exilés en partance pour l’Angleterre ; Gérard
Sadik, responsable de la commission asile, pour les aspects juridiques
(autour du règlement Dublin notamment) ; Maud Steuperaert et
Adrien Cornec, respectivement responsable régionale
rétention Arc Atlantique et intervenant au centre de
rétention de Rennes, qui rencontrent au sein du CRA les
personnes passant par ces ports ; et enfin Régine Bouchel,
bénévole au groupe de Caen, qui a permis de faire le lien
avec les acteurs locaux.
En parallèle, une mission à Dieppe a été
effectuée peu après par Agnès Lerolle,
déléguée nationale en région Nord Picardie,
accompagnée de Viviane Hue, bénévole à
Rouen, dans le cadre d’une visite organisée par
l’association Abbé Pierre, ce qui a permis de
compléter le programme initial.
Les constats : fermeture des ports et dispositifs « anti-migrants »
Le premier constat de la
délégation a été la mise en place de de
dispositifs sécuritaires très lourds et
l’augmentation de ressources humaines dédiées au
contrôle des personnes migrantes dans les villes et les ports.
« Le dispositif mis en place pour empêcher les personnes de passer m’a beaucoup fait penser au CRA », relève Adrien Cornec. « Au
CRA de Rennes il y a 3 grands grillages, surmontés par des
barbelés et des pics vers le haut ; sur les ports de Cherbourg
et de Ouistreham on retrouve exactement la même chose. A
Ouistreham, ils ont carrément installé des
détecteurs de présence entre chaque grillage,
reliés à une alarme. Et il y a en plus des vigiles qui
patrouillent, et l’armée qui est mobilisée. Au
final, c’est à peu près impossible de
passer… sauf si la police le veut bien ! »
Concernant les conséquences du démantèlement de
Calais, au moment du passage de La Cimade il n’y avait pas
d’augmentation des exilés présents dans ou proche
des villes portuaires visitées. Il semble au contraire,
qu’en raison de l’hiver et de la difficulté du
passage, les arrivées se soient réduites. Cela ne veut
cependant pas dire que les arrivées ne reprendront pas à
un moment ou à un autre. Les associations et collectifs
rencontrés font face à de grandes difficultés
liées au manque d’hébergements : exilés de
passage, déboutés du droit d’asile, demandeurs
d’asile, il n’y a que très peu de places. « C’est au final le plus gros enjeu dans ces villes aujourd’hui » constate Marine De Haas « A
Caen plusieurs squats ont ouverts, avec un soutien des associations
locales sur le plan matériel : ils fournissent des couvertures,
de l’alimentation.... Il y a aussi un réseau Welcome qui
est en train de se développer pour héberger les
demandeurs d’asile chez des particuliers. »
A Dieppe, une problématique particulière a
été identifiée : la population migrante y est
essentiellement composée d’albanais, dont le taux de
reconnaissance des demandes d’asile est très faible en
France, ce qui a des conséquences sur les possibilités
d’action associative. « On
retrouve des questions similaires par rapport au transit et aux
tentatives pour passer en Angleterre, sauf que ces personnes sont
encore plus stigmatisées que les autres » constate Agnès Lerolle. « La
mairie de Dieppe, tenue par le parti communiste, est extrêmement
hostile à l’aide aux personnes migrantes qui ne sont pas
réfugiées de guerre, et met en place toute une
stratégie pour nuire à l’action
d’Itinérances, l’association locale. Il ne leur a
même pas été possible de trouver un local où
tenir un accueil de jour. Cela rend le travail humanitaire très
difficile. »
Créer du lien en interne et en externe
Si ces missions ont permis de mieux
appréhender la situation sur place, elles ont également
été l’occasion de créer du lien à la
fois avec les acteurs locaux, et entre les services et régions
de La Cimade concernées.
« En fin de compte, nous
n’avons pas déterminé de projet concret que nous
serions susceptibles de mener sur le littoral. Mais le fait
qu’une association comme La Cimade vienne
s’intéresser à ce qui s’y passe a
envoyé un signal positif aux acteurs locaux » souligne Marine de Haas. « Cette
mission leur a permis d’identifier La Cimade et les personnes
ressources auxquelles elles peuvent faire appel : Gérard sur
l’asile, Adrien au CRA… Notre venue a aussi
été l’occasion de réunir des acteurs locaux
qui se connaissent, mais qui jusqu’ici n’avaient pas
forcément travaillé ensemble de façon
coordonnée sur cette question. »
Pour les bénévoles régionaux, cette prise de contact est également très positive : « Cela
faisait longtemps que j’avais envie de savoir ce qui se passait
sur nos côtes, en particulier à Ouistreham » explique Régine Bouchel, à Caen. « Cela
m’a permis de rencontrer les partenaires qui travaillent sur les
mêmes sujets et à l’avenir de pouvoir nous mobiliser
ensemble »
Par ailleurs, ce travail coordonné entre différents
services nationaux et les 3 régions concernées par le
sujet (Nord Picardie, Normandie et Bretagne Pays-de-Loire) a permis de
créer du lien en interne.
« Chacun a un intérêt et un regard différent
à apporter » explique Adrien Cornec. « Marine
de Haas avait un regard global sur la situation et les
conséquences des politiques européennes, Magali de
Lambert pouvait comparer avec la situation sur le camp de
Grande-Synthe, Régine Bouchel avait son regard local, et Maud
Stepeuraert et moi étions à un bout de chemin du parcours
migratoire que les autres ne voient jamais : la rétention. Cet
échange était très enrichissant pour tout le
monde. »
« Avec le national, c’est toujours plus facile de communiquer avec quelqu’un qu’on a vu » renchérit Régine Bouchel. « Maintenant
je connais les personnes du CRA de Rennes, par exemple, s’il y a
un jour un nouvel évènement de type Charter Awards, on se
mettra naturellement en contact pour faire quelque chose ensemble ! »
Une dernière partie de la
mission sera effectuée en Bretagne, à Roscoff, au mois de
janvier. A l’issue de cette dernière étape, un
compte rendu de mission sera élaboré pour
synthétiser nos constats et analyses et pour envisager les
perspectives de travail sur le sujet.
La Cimade, tant au niveau national que local, va rester en alerte sur
différents points de blocage aux frontières, sur le
littoral mais aussi aux frontières intérieures, notamment
du côté italien (Nice, Vintimille) pour s’assurer
que les droits des personnes étrangères sont
respectés.