Dans nos régions - La Réunion et Mayotte : deux formes de mobilisation en Outre-Mer31 mars 2017 | Soumis à un
dispositif législatif et à des pratiques
d’exception, les départements d’Outre-Mer souffrent
de situations particulièrement difficiles à gérer
pour les groupes Cimade. Pourtant, des mobilisations sont possibles :
exemples à Mayotte contre les délais d’accès
à la préfecture, et à la Réunion sur la
situation des étrangers malades.
Mayotte, La Réunion : les deux îles de l’Océan Indien dans lesquelles agit La Cimade présentent deux visages bien différents de la politique migratoire en Outre-Mer. Lise Faron, responsable de la thématique Entrée, séjour et
droits sociaux, s’est rendue sur place fin 2016. Elle a été frappée par les
différences de traitement des personnes étrangères entre la métropole et
l’outre-mer, mais aussi par la ténacité des équipes en place. Mayotte : le combat pour l’accès à la préfecture La difficulté de l’accès aux préfectures est une réalité dans de très nombreuses régions, réalité dénoncée en mars 2016 par La Cimade dans son rapport « A guichets fermés » (http://www.lacimade.org/publication/a-guichets-fermes/). Le cas de Mayotte y était cité à plusieurs reprises, faisant même l’objet d’un encadré dédié, tant les délais de traitement s’avèrent interminables dans cette préfecture sous-dimensionnée. « Seules les personnes qui font des demandes de titre de séjour pour soins ou de visa peuvent se présenter physiquement à la préfecture à tout moment » explique Yohan Delhomme, responsable vie associative au sein du groupe local de Mayotte. « Pour les autres demandes, la très grande majorité, il faut envoyer son dossier par courrier, et compter un an et demi à deux ans avant d’avoir une réponse définitive. » La raison de ce délai inacceptable ? Un traitement extrêmement long à chaque étape : suite à l’envoi du courrier, la préfecture répond 4 à 6 mois plus tard par une convocation, qui fixe un rendez-vous encore 3 à 6 mois plus tard. C’est donc au bout de 8 à 12 mois que les personnes finissent par être reçues physiquement par la préfecture, et c’est seulement à ce moment-là qu’on leur remet un récépissé de leur demande. Pour ajouter aux difficultés, il arrive très souvent que la préfecture demande des documents complémentaires sans même délivrer de récépissé (alors même que le dossier fournit toutes les pièces obligatoires demandées) : « Même si la personne est très réactive et rassemble les documents demandés en quelques jours, elle repart pour un tour : la préfecture lui donne une attestation de dépôt indiquant qu’elle sera rappelée sous 2 mois. Mais en général, elle est rappelée encore bien plus tard, voire pas rappelée du tout. » déplore Yohan Delhomme. Face à cette situation de blocage, les actions sont difficiles à mener, entre des personnes étrangères plutôt frileuses à l’idée de se lancer dans des recours et préférant généralement prendre leur mal en patience, et une opinion publique particulièrement hostile dans un contexte social très difficile. Le groupe local de Mayotte a choisi d’agir en mobilisant leurs forces sur une population spécifique, chez laquelle les délais de traitement en préfecture ont des conséquences particulièrement criantes : les étudiants. « Chaque année, de très nombreux bacheliers ou étudiants font une demande de titre de séjour pour pouvoir ensuite poursuivre leurs études, généralement à la Réunion ou en métropole », explique Yohan Delhomme. « Mais du fait des délais, 300 à 400 d’entre eux n’ont pas de réponse à temps et se retrouvent contraints de faire une année blanche, ou deux. Certains, découragés par cette coupure subie, finissent par abandonner leurs études, alors qu’ils sont sur le territoire depuis des années et que leur scolarité se déroulait très bien jusque-là. C’est un énorme gâchis. » Si le groupe local a choisi la situation des étudiants, c’est parce qu’elle leur a semblé avoir plus de chances d’évoluer positivement. De plus, de nombreux bénévoles du groupe étant de jeunes comoriens, dont deux jeunes bacheliers en cours d’année blanche, ils étaient particulièrement sensibles à cette problématique. La mobilisation du groupe s’est alors déclinée en 4 types d’actions : - Une action de prévention dans les établissements scolaires : des sessions d’information ont été proposées dans les lycées auprès des élèves de terminale, afin de leur expliquer les démarches à suivre pour faire leur demande de titre de séjour et de les sensibiliser aux délais qu’ils risquent de rencontrer - Une demande de rencontre institutionnelle auprès de la préfecture, en inter-associatif. Le courrier sera envoyé la semaine prochaine, avec l’objectif de demander une évolution des dossiers en terme de délais, et de faire suivre cette rencontre d’une communication publique pour alerter l’opinion. - Un suivi des dossiers individuels, en engageant des contentieux pour pratique de refus implicite de séjour (l’inconvénient de cette démarche étant que le délai de contentieux est lui aussi très long) - Enfin et surtout, le groupe a entrepris d’aider les étudiants concernés à s’organiser en collectif pour essayer de faire bouger eux-mêmes les choses. Depuis mai 2016, ce collectif se réunit donc dans les locaux de La Cimade, avec le soutien du groupe local, et définit les actions qu’il souhaite engager. Les étudiants ont ainsi organisé des manifestations et alerté les médias. Grâce à cette mobilisation, ils ont réussi à obtenir plusieurs réunions avec le Secrétaire général de la préfecture, au cours desquelles celui-ci a accepté d’accélérer exceptionnellement les délais pour les membres du collectif. Mais lors de leur dernière réunion du vendredi 25 mars, ils ont obtenu une réponse plus intéressante encore : « Le Secrétaire général leur a annoncé qu’un système allait être mis en place, avec le concours des chefs d’établissements, pour centraliser les demandes de séjour des futurs bacheliers, et qu’une priorité soit donnée aux demandes de celles et ceux qui veulent poursuivre leurs études » explique Yohan Delhomme. « Si cette promesse est tenue, chaque futur bachelier concerné aurait une décision finale relative à sa demande de carte de séjour avant la rentrée de septembre. Bien sûr ce n’est qu’une promesse pour le moment, donc nous restons prudents ; mais si elle est suivie d’effets ce sera une sacrée victoire ! » En parallèle, le groupe local envisageait de monter un contentieux collectif sur les dossiers d’étudiants ; mais au vu de cette avancée, leur choix va du coup se reporter sur un autre groupe, probablement les parents d’enfants français. Car l’accélération du dossier des étudiants ne résoudra pas le problème des autres demandeurs… le combat continue ! ![]() ![]() ![]() La Réunion : quand les médecins du CHU se mêlent de politique migratoire Lors de son séjour auprès du groupe local de La Réunion, Lise Faron a d’abord constaté que le sort réservé aux personnes étrangères était plutôt « moins pire » qu’ailleurs : « Contrairement à Mayotte, il y a peu d’entrées illégales à la Réunion, et les pratiques de la préfecture sont à peu près correctes. » Mais c’était sans compter le cas particulier des personnes étrangères malades bénéficiant d’une procédure d’évacuation sanitaire, généralement depuis Mayotte. Cette procédure permet à un patient traité dans l’hôpital d’un autre département, en l’occurrence Mayotte, d’être évacué par la Réunion pour bénéficier de traitements non disponibles dans le département d’origine. « Les titres de séjour de Mayotte ne sont valables qu’à Mayotte » explique Emmanuelle Gamain, salariée au groupe local de La Réunion. « Dans le cadre de cette procédure d’évacuation sanitaire, la préfecture de Mayotte délivre donc un laissez-passer pour que la personne puisse entrer à la Réunion. La plupart du temps, les personnes souhaitent ensuite rester à la Réunion, mais se heurtent à une volonté conjointe de la préfecture et du centre hospitalier de les voir retourner à Mayotte. » Du côté de la préfecture, le groupe de la Réunion a observé plusieurs stratégies successives. « La préfecture a commencé par refuser d’enregistrer toutes les demandes de séjour pour soins des personnes en situation d’évacuation sanitaire » se souvient Emmanuelle Gamain. « Le groupe local est intervenu pour demander que la demande soit enregistrée et un récépissé systématiquement délivré, ce qui a été obtenu. » Mais du coup, la préfecture a changé son fusil d’épaule : « Désormais, les personnes étrangères malades ne se voient plus délivrer que des autorisations provisoires de séjour très courtes, généralement un mois. Chaque mois, elles doivent donc recommencer tout un dossier pour renouveler l’autorisation. » Ce fort contrôle permet à la préfecture d’éviter une installation des personnes sur le territoire. « La préfecture a été interpelée sur cette question par le groupe local, mais aussi par les travailleurs sociaux du CHU, ou encore les cliniques de dialyse, mais sans résultat pour le moment. » regrette Emmanuelle Gamain. « Nous envisageons donc une saisine du Défenseur des droits. » Du côté du centre hospitalier, des pratiques ahurissantes ont été signalées. Lors d’une formation de La Cimade auprès des travailleurs sociaux du CHU, les assistantes sociales ont en effet rapporté des cas de séquestration de personnes étrangères par les médecins ! « Pour être sûr d’éviter une installation illégale sur le territoire, le médecin de ces personnes leur a interdit de sortir de l’enceinte de l’hôpital, après avoir confisqué leurs papiers » rapporte Emmanuelle Gamain. « Nous avons été abasourdis d’apprendre ces pratiques. » Mais intervenir s’avère néanmoins délicat pour le groupe local. « Nous voudrions là aussi faire une saisine du Défenseur des droits. Mais pour agir, il faudrait pouvoir nous appuyer sur des cas très précis ; or c’est compliqué pour les assistantes sociales de dénoncer ces pratiques en interne, elles craignent d’en subir les conséquences. Nous cherchons encore la personne qui aura le courage de se lancer, pour pouvoir l’accompagner dans cette démarche. Nous avons des contacts à l’hôpital et gardons donc bon espoir de la trouver ! » Autre piste, celle d’alerter d’autres autorités administratives : « De fait, pour le moment, on ne connait pas très bien la procédure d’évacuation sanitaire, qui fonctionne de façon assez occulte » explique Lise Faron. « Il y a donc un enjeu de bien comprendre le protocole, comment il se joue, quels sont les acteurs qui le défendent : par exemple quel est le rôle du ministère de la Santé, de l’ARS (agence régionale de santé), de chacun des hôpitaux ? L’idée est de pouvoir ensuite intervenir auprès des bonnes personnes, et d’améliorer le déroulement de la procédure sans risquer de mettre à mal son existence même - car nous souhaitons bien sûr la voir maintenue ! » Un travail à poursuivre, donc, pour tenter de résoudre cette situation sensible et obtenir le respect des personnes étrangères malades et de leurs droits fondamentaux. |