3 questions à... deux intervenants en prison27 octobre 2017 |
Jacques Blanc, intervenant en prison à Marseille : « La Cimade est souvent leur seul contact avec l'extérieur » Depuis combien de temps êtes-vous visiteur de prison ? J’interviens à la prison des Baumettes à Marseille depuis 2015. Je me suis engagé à La Cimade pour intervenir en prison. Auparavant, durant ma vie professionnelle au ministère du Travail, j’avais organisé des formations pour les détenus. J’étais déjà familier des lieux de détention. Qu’est-ce qui vous fait continuer dans cette activité ? La Cimade est parfois le dernier recours pour les personnes étrangères détenues souvent pour de courtes durées. Les conseillers pénitentiaires n'ont aucune compétence en droit des étrangers et ne sont pas formés sur le sujet. Il nous faut agir vite, le système pénitencier est lourd. Les autorisations de visites sont longues à obtenir. Je peux planifier huit entretiens en une journée et finalement ne rencontrer que six personnes lors d’entretien de vingt minutes à peine. Par ailleurs, au-delà de la dimension juridique, il y a la dimension humaine. Les histoires de vie que nous croisons sont souvent touchantes et nous interrogent sur notre environnement et notre confort. Elles sont toutes uniques. Quelles sont vos satisfactions ? Un sentiment d'utilité qui tient au fait que personne ne leur vient en aide, ni ne les écoute. La Cimade est souvent leur seul contact avec l'extérieur. Ils ont rarement de visites au parloir pour la plupart. Toutefois, il faut être conscient que ce n'est qu'une goutte d'eau. Jean Saglio, visiteur de prison à Lyon : « La prison est un puissant moyen de désinsertion sociale » Depuis combien de temps êtes-vous visiteur de prison ? J'avais coopéré avec La Cimade de Lyon dans les années 70. On travaillait sur les questions de logement des immigrés. Cela a débouché sur une association locale spécialisée, qui existe encore et qui a aujourd'hui une vingtaine de salariés. Je suis revenu à La Cimade au milieu des années 90 et j'ai travaillé sur la gestion et l'administration. J'ai ainsi participé à la mise en place de l'intervention en prison à Lyon, notamment en trouvant des financements ad hoc. Quand j'ai pris ma retraite professionnelle, j'avais terminé mes mandats nationaux au Conseil et au bureau et j'ai choisi de ne plus faire de l'administration et de la gestion et d'intervenir sur les dossiers individuels. La prison m'était inconnue, je m'y suis mis. Je vais régulièrement à la Maison d'arrêt de Lyon Corbas, et, plus ou moins ponctuellement, en tant que coordinateur de l'action prison au niveau régional, à Saint Quentin Fallavier, Bourg en Bresse, Villefranche sur Saône, Aiton et même Valence. Cela fait maintenant huit ans que j'interviens en prison et j'ai rencontré un peu plus de mille personnes détenues. Est-ce nécessairement un travail solitaire ? La caractéristique de l'intervention est qu'elle se passe en prison, donc, pendant les horaires d'accès possibles, et quasi systématiquement, sans accès au téléphone, ou même à un ordinateur. Nous essayons de travailler en tandem, mais ce n'est pas toujours possible. Quand cela ne l'est pas, j'essaie de toujours avoir un moment de débriefing avec un autre intervenant. Ne serait-ce que, au-delà de l'analyse juridique, pour assumer le stress de situations difficiles que vivent les gens que nous rencontrons. Cela crée une sorte de connivence entre intervenants en prison qui est très chaleureuse. Quels conseils donneriez-vous pour une personne qui débute ? Le premier conseil serait de se demander comment s'acculturer à la prison. Notre intervention repose sur un apparent paradoxe bien souligné par la sociologue Yasmine Bouagga : nous venons dire aux gens que nous allons les aider pour leurs droits alors que c'est justement la justice et donc le droit qui les a mis en prison. Si l'on veut respecter nos interlocuteurs, que leur dire ? Si on se limite à leur expliquer le CESEDA, on se fiche d'eux, puisque ce n'est pas ce qui permet de comprendre ce qui leur arrive. S'il y a refus de la préfecture, le droit dit qu'on peut saisir le Tribunal administratif ; mais les délais de traitement du dossier font que, en maison d'arrêt, les gens seront sortis depuis longtemps quand leur dossier arrivera devant un juge. Pour comprendre la situation des personnes détenues étrangères, voire la prison en général, Kafka est plus utile que les codes. Le deuxième conseil est de parvenir à trouver « la bonne distance ». Même quand on ne voit une personne détenue qu'une seule fois, ce qui est fréquent en maison d'arrêt, il faut savoir trouver le moyen de manifester une certaine empathie pour travailler la situation et la comprendre, sans pour autant s'impliquer personnellement de manière inutile. Nous avons souvent des mauvaises nouvelles à expliquer, notamment quand il n'y a plus de recours possibles contre une expulsion. L'une des situations que je trouve les plus difficiles consiste à devoir expliquer à une personne détenue que les éléments qui lui ont été donnés par des gens bien intentionnés sont probablement inexacts. J'ai eu ainsi un jeune étudiant africain qui avait mobilisé beaucoup de soutiens avant son incarcération – pour refus d'embarquer - et qui était convaincu qu'il y avait encore des voies de recours contre son obligation de quitter le territoire français (OQTF). Il avait pris un ton très agressif et nous reprochait de ne rien faire pour lui. Or, la seule aide que j'estimais pouvoir lui apporter consistait à le ramener à la raison et à se préparer à une expulsion rapide dès la levée d'écrou. Et quand on rencontre un détenu à plusieurs reprises, il faut encore trouver le bon niveau d'implication. Le troisième conseil serait de savoir profiter de cette situation pour découvrir des mondes qu'on ne connaît guère. Quand on parle de prison, les gens de l'extérieur pensent souvent aux grands truands multirécidivistes. Ils sont rares en maison d'arrêt, mais cela arrive. L'un d'eux appréciait notre travail et nous orientait des codétenus quand ils avaient des problèmes de papiers. Mais la grande majorité des personnes que nous voyons sont plutôt des gens paumés, dont certains vivent des situations impossibles. J'ai pu réaliser à quel point l'absence de documents d'identité considérés comme fiables pose problème. Je pense souvent à ce que Milan Kundera dit du « Château » de Kafka : la situation la plus inextricable, c'est lorsque l'administration a perdu votre dossier. Vous n'êtes plus rien, à cette différence près par rapport à l'arpenteur que cela n'empêche nullement la machine judiciaire de vous mettre en prison. Le problème de la surpopulation carcérale revient régulièrement dans l’actualité. En quoi cela affecte-t-il vos missions ? La surpopulation touche surtout les maisons d'arrêt. Prenons Lyon Corbas : il y a 690 places ; elle tourne fréquemment à 850 personnes détenues ; simultanément, le personnel de surveillance est constamment en sous-effectif ; et comme les personnels présents sont affectés par priorité aux postes de sécurité et non dans les « zones d'activités » où se passent nos entretiens, il est souvent difficile de rencontrer ceux que nous souhaitons voir. À Villefranche, pendant un mois et demi cet été, il était impossible d'intervenir du fait de l'absence de surveillant affecté au « bâtiment socio ». On oublie ainsi souvent de dire que la surpopulation, au-delà de l'inconfort qu’elle impose aux personnes détenues, affecte leurs droits : les intervenants extérieurs qui s'occupent de logement, de formation, de réinsertion, voire encore les conseillers d’insertion et de probation (CIP) eux-mêmes, ne peuvent plus les rencontrer. Comment parler d'accès aux droits et de réinsertion quand, par suite des difficultés d'accès, les CIP ne traitent plus les dossiers que par courrier, et l'on connaît les difficultés à l'écrit de bien des détenus. Dans de telles conditions, il n'est pas rare que, pour des gens condamnés à de courtes peines – majoritaires en maison d'arrêt – il ne se passe rien pendant leur temps d'incarcération. La prison est alors un puissant moyen de désinsertion sociale. |