L'actu du moment - La France accélère les expulsions vers l'Afghanistan27 octobre 2017 | Alors que l’Afghanistan connait une flambée de violences qui touche principalement les civils, des pays européens, notamment la France, accélère les expulsions d’Afghan.e.s vers leur pays d’origine. Amnesty International et La Cimade demandent au gouvernement français de stopper les renvois forcés vers l’Afghanistan pour ne plus mettre en péril des vies humaines. La situation sécuritaire est de plus
en plus dangereuse en Afghanistan, avec 11 418 personnes ont
été tuées ou blessées en 2016
principalement par des Talibans et des groupes djihadistes.
Malgré cette situation dramatique pour les civils, les pays
européens multiplient les expulsions de personnes afghanes vers
leur pays d’origine. Pour mener à bien ces renvois
forcés, les États européens prétendent
à tort que certaines régions d’Afghanistan sont
sûres. Dans ce contexte, la France accélère les
expulsions directement vers l’Afghanistan ou vers d’autres
pays européens qui pratiquement massivement les renvois
forcés. Tout cela au péril de la vie de ces personnes
demandeuses d’asile. Alors que le nombre de victimes civiles est
plus élevé que jamais en Afghanistan, les gouvernements
européens obligent de plus en plus de demandeurs d’asile
à repartir affronter les menaces qu’ils ont fuies, en
violation flagrante du droit international. « Désireux
avant tout d’augmenter le nombre d’expulsions, les
gouvernements européens appliquent une politique à la
fois irresponsable et contraire au droit international.
Délibérément aveugles à tous les
éléments qui montrent que la violence atteint un niveau
record et qu’aucune région d’Afghanistan n’est
épargnée, ils exposent des hommes, des femmes et des
enfants à des dangers tels que l’enlèvement, la
torture, ou la mort », déclare Cécile Coudriou, vice-présidente d’Amnesty International France. Les retours forcés et les victimes civiles se multiplient Le nombre de retours forcés depuis
l’Europe est en augmentation rapide, à un moment où
celui des victimes civiles enregistrées par l’ONU atteint
un niveau record. Si l’on en croit les statistiques
officielles de l’Union européenne (UE), entre 2015 et
2016, le nombre d’Afghans renvoyés dans leur pays par des
États européens a presque triplé, passant de 3 290
à 9 460. Ces retours correspondent à une baisse
très nette des avis favorables donnés aux demandes
d’asile, passés de 68 % en septembre 2015 à 33 % en
décembre 2016. En France, les constats de La Cimade et
d’autres ONG sur le terrain montrent une dégradation de la
situation à partir de 2016 qui s’accentue encore en 2017.
Du 1er janvier au 15 septembre 2017, 1 614 personnes afghanes ont
été enfermées dans des centres de rétention
sur la base d’une mesure d’éloignement, alors
même qu’en 2016, 1 046 personnes afghanes avaient
déjà subi le même sort. Cette dégradation
est aussi caractérisée par des violations massives des
droits par les préfectures qui mettent en œuvre cette
politique puisque 70 % des personnes afghanes visées ont
été libérées par des juges qui ont
considéré comme illégale la décision
d’un placement en rétention, la mesure
d’éloignement ou la procédure judiciaire. « La
France a multiplié les mesures d’éloignement
à l’encontre de ressortissants afghans et les enferment de
plus en plus massivement dans des centres de rétention
administrative où leur nombre est passé de 382 en 2011
à plus de 1000 en 2016, et déjà 1600 depuis
début 2017. Les expulsions directes depuis la France vers
l’Afghanistan ont augmenté et les transferts vers des pays
européens dont certains expulsent sont très importants.
Au moins 307 cas depuis le début de l’année. Il est
indispensable que le ministère de l’Intérieur
décide d’un moratoire immédiat sur les renvois
directs en Afghanistan, et il est urgent qu’il cesse de mettre en
danger des personnes en les transférant vers d’autres
Etats européens qui risquent manifestement de les expulser
à leur tour vers ce pays. Il serait hypocrite de ne pas tirer
toutes les conséquences de la situation en Afghanistan », déclare David Rohi, responsable national de la rétention à La Cimade. Meurtres, mutilations et persécutions Dans le même temps, on assiste
à une augmentation du nombre de victimes civiles en Afghanistan,
comme en témoignent les chiffres publiés par la Mission
d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA). Selon la MANUA, 11 418 personnes ont
été tuées ou blessées en 2016. Des civils
ont été pris pour cible dans toutes les régions du
pays. La plupart des attaques ont été
perpétrées par des groupes armés, notamment par
les talibans et le groupe se faisant appeler État islamique
(EI). Au cours du seul premier semestre 2017, la MANUA a recensé
5 243 victimes civiles. Plus de 150 personnes ont été
tuées le 31 mai dernier à Kaboul dans l’explosion
d’une bombe, à proximité de plusieurs ambassades
européennes. Cet attentat, l’un des plus meurtriers jamais
commis dans la capitale afghane, a également fait au moins 300
blessés. Les chercheurs d’Amnesty International
se sont entretenus avec plusieurs familles qui leur ont fait part du
calvaire qu’elles avaient vécu après avoir
été contraintes de quitter l’Europe. Certaines ont
perdu des êtres chers ; d’autres ont échappé
de peu à des attaques lancées contre la population civile
; d’autres encore vivent dans la peur des persécutions,
dans un pays qu’elles connaissent à peine. Sadeqa
et ses proches ont fui l’Afghanistan en 2015, après que
son mari, Hadi, eut été enlevé, roué de
coups et finalement relâché après paiement
d’une rançon. Au terme d’un voyage périlleux
de plusieurs mois, ils sont arrivés en Norvège,
espérant y trouver un avenir meilleur, en lieu sûr.
Malheureusement, les autorités norvégiennes leur ont
refusé l’asile, leur donnant le choix entre la
détention dans l’attente de leur expulsion et un retour
« volontaire », assorti d’une allocation de 10 700
euros. Farhad
était interprète en Afghanistan pour une organisation
internationale. Alors âgé de 22 ans, il faisait
l’objet de telles menaces qu’il a été
contraint à l’exil. « Une coupe de poison » Les États européens
n’ignorent aucunement la dangerosité de la situation en
Afghanistan. D’ailleurs, ils l’ont reconnue lorsque les
membres de l’Union européenne (UE) ont signé un
accord informel de coopération baptisé « Action
conjointe pour le futur », officiellement présenté
comme un programme d’aide au développement mais en fait
destiné à faciliter le renvoi des demandeurs
d’asile afghans. Dans un document ayant fuité,
l’administration de l’UE reconnaît que
l’Afghanistan est confronté à « une
détérioration de sa situation sécuritaire et une
aggravation des menaces auxquelles les gens sont exposés, avec
un nombre record d’attaques terroristes et de civils tués
ou blessés ». Ce qui ne l’empêche pas de conclure, avec un total cynisme, qu’il faut « que 80 000 personnes au moins puissent retourner chez elles dans un futur proche ». Selon des informations jugées
fiables, des pressions auraient été exercées sur
le gouvernement afghan pour qu’il accepte cette «
nécessité » des renvois. Le ministre afghan des
Finances, Ekil Hakimi, a déclaré devant le Parlement :
« Si l’Afghanistan ne
coopère pas avec les pays de l’Union européenne
dans le cadre de la crise des réfugiés, cela aura des
conséquences négatives pour le montant de l’aide
allouée à notre pays. » Dans le même ordre
d’idées, une source afghane connaissant bien
l’accord et s’exprimant sous le sceau de la
confidentialité a qualifié ledit accord de « coupe de poison » que le gouvernement afghan aurait été obligé d’avaler en échange d’une aide. « Ces
retours constituent des violations flagrantes du droit international et
ils doivent cesser immédiatement. Les mêmes pays
européens qui s’étaient naguère
engagés pour que les Afghans connaissent un avenir meilleur
anéantissent aujourd’hui tous leurs espoirs et les
condamnent à repartir dans un pays qui est devenu encore plus
dangereux que lorsqu’ils l’ont quitté
», déplore Jean-François Dubost, responsable du
programme Protection des populations à Amnesty International
France.
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