Témoignage - Marie-Odile Lannoy, engagée auprès des MIE à Gap27 octobre 2017 | ![]() Depuis quand êtes-vous engagée auprès des mineurs isolés étrangers et pourquoi continuez-vous ? Je savais depuis longtemps que des mineurs isolés étrangers arrivaient parfois dans les Hautes-Alpes, mais c’était la plupart du temps a posteriori. J’en avais connaissance par des profs admiratifs de leur parcours ou par des éducateurs cherchant des renseignements juridiques, quand le jeune atteignait sa majorité. Ces informations étaient rassurantes : elles signifiaient que les jeunes étaient correctement pris en charge et qu’ils avaient potentiellement un avenir en France, où la plupart d’entre eux souhaitent rester. Mais la réalité de leur vie et de leur parcours est venue bousculer ma vie en novembre 2016, alors qu’un jeune afghan, sortant du commissariat de Gap, m’a demandé, en anglais, de lui indiquer le chemin pour se rendre au conseil départemental. Je l’ai accompagné, sans un mot car ma connaissance de l’anglais est très limitée, jusqu’à ce que je croise une amie le parlant parfaitement : en quelques secondes nous savions l’essentiel : un voyage éprouvant après que sa mère ait été assassinée de la pire des façons… Et puis, entre janvier et fin mars 2017, j’ai compris que les arrivées de ces jeunes allaient être nombreuses et j’ai commencé à leur porter une attention toute particulière car, même si à cette époque les arrivées étaient encore modérées, leur accueil au conseil départemental commençait déjà à faire grincer des dents : en 3 mois une cinquantaine de mineurs sont arrivés, soit le total de ceux arrivés l’année précédente dans le département. Puis, entre juillet et début octobre 2017, environ 600 jeunes sont arrivés, la plupart en provenance de l’Afrique de l’ouest… Ils fuient la Guinée, le Mali, la Côte d’Ivoire, pays sans espoirs et sans avenir, avec des histoires de vie ponctuées de violences intrafamiliales ou tribales. Après avoir traversé des pays où leur vulnérabilité a été exploitée, où leur sécurité était menacée en permanence ils ont fui en traversant la méditerranée dans des embarcations de fortune pour rejoindre l’Europe. C’est là que nous les rencontrons. C’est là que j’ai appris à les connaître. C’est là que j’ai compris que si tout s’était passé comme prévu je n’aurais pas dû croiser leur chemin et la question pour moi n’est pas de savoir pourquoi je continue mais plutôt de savoir comment continuer, comment les accompagner, comment donner du sens à cet engagement là... Plus de questions que de réponses, en réalité. Selon vous, de quoi ont-ils prioritairement besoin ? Ils ont besoin de ne pas être seuls et d’aller à l’école : tous ! C’est leur objectif, leur désir le plus profond. Je le ressens. Et je ne suis pas la seule puisque des bénévoles ont annulé leurs vacances pour leur donner les cours de français, de maths, d’histoire-géo dont ils ont faim. Ils réclament (et parfois s’achètent) des livres de grammaire !!! Comment arrivent-ils jusqu’à vous ? Ils ont traversé l’Italie et, après avoir passé le col de l’Échelle, ils arrivent à Briançon. Là, les bénévoles les accueillent pendant quelques jours dans un lieu ouvert par la mairie. Ce lieu permet de parer aux urgences : faim, blessures, épuisement. Au bout d’une semaine maximum, ils sont accompagnés jusque Gap pour être enregistrés par le conseil départemental censé les mettre à l’abri et les scolariser. Pour la plupart d’entre eux ça ne sera pas le cas. L’urgence de l’été 2017 a donc été de trouver des solutions pour les héberger, les nourrir et essayer d’être à leurs côtés. Il y a eu beaucoup de familles qui ont accueilli un ou deux jeunes chez elles, il y a eu l’ouverture en urgence d’une salle paroissiale et aussi la réquisition d’un bâtiment public inoccupé. Nous avons paré à l’urgence, au détriment parfois d’une action plus offensive. Où trouvez-vous l’information et la motivation pour continuer ? J’avoue que la recherche d’informations n’a pas été ma première démarche. Personnellement, j’étais sidérée par ce qui se passait, par le non-respect du droit, par la non prise en charge de ces enfants qui se retrouvaient à la rue. Je me disais : « on va se mobiliser, « ils » ne pourront pas tenir longtemps cette position ». Pourtant « ils » ont tenu et il a fallu réagir : début août j’ai appelé Pascaline Curtet, déléguée régionale de La Cimade, qui m’a mis en contact avec Espace à Marseille et aussi avec Violaine Husson chargée des MIE au niveau national. Nous avons également contacté des avocats et la MAPEmonde de Gap (Mission d’Aide aux Personnes Etrangères). Actuellement des référés liberté ont été déposés pour des jeunes recevant des OPP (ordonnances de placement provisoire) à Marseille et se retrouvant pourtant à dormir à la rue… Ces procédures ont permis de mettre 3 mineurs à l’abri dans les 48H. C’est bien sûr une des motivations pour continuer. Mais il y en au moins une autre : c’est celle de constater que sur la question des droits fondamentaux, en particulier ceux concernant les enfants, il est possible de mobiliser au-delà des cercles militants habituels. Un réseau qui s’étoffe donc mais aussi des belles rencontres et un foisonnement d’idées naissent des mobilisations de toute sorte en faveur de ces jeunes. Pourquoi vous engagez-vous avec La Cimade ? Je m’engage aussi avec La Cimade. Car d’autres associations ou mouvements sont proches des personnes migrantes et apportent des aides précieuses et fiables. Je suis membre de RESF, du réseau hospitalité, du collectif « un toit, un Droit » créé pour mettre à l’abri des personnes migrantes. Il me paraît essentiel, dans le contexte actuel (en particulier dans les départements frontaliers) que toutes les associations mettent leurs compétences et leur force en commun : construire des solidarités pour être efficace dans l’instant mais aussi pour que, sur le long terme, cette solidarité ainsi construite puisse être une force de changement. La Cimade possède des outils pour l’accompagnement juridique bien sûr, mais ses outils de sensibilisation font sa force et sa spécificité. C’est ce que j’apprécie car je sais que seul ce travail en amont permettra au racisme et à la xénophobie de reculer pour faire place à la tolérance, au respect et à l’accueil. |