Point de vue - Annette Huraux de retour de Hongrie19 avril 2018 | Une mission
d’observation a été menée par La Cimade en Hongrie et en Serbie, dans le cadre
d’un projet du pôle Europe et Solidarités Internationales sur les frontières
européennes. De retour de mission, Annette Huraux, chargée de projet SI, nous
raconte ses impressions sur la Hongrie, qui lui a montré un visage très
inquiétant. En quelques mots,
pourquoi a-t-il été décidé de mener cette mission entre la Hongrie et la
Serbie ? Nous sommes parties à trois : j’étais accompagnée de
Marine De Haas, responsable des questions européennes, et de Maïté Fernandez,
une chercheuse associée au pôle SI-Europe et qui connaît bien le sujet. Arrivée
aux
solidarités internationales en 2015, c’était ta
première mission à l’étranger dans
ce cadre : comment l’as-tu appréhendée ? J’ai été étonnée par l’ampleur du travail de préparation de
la mission, qui nous a mobilisées pendant plusieurs semaines intenses. Formuler
nos objectifs, faire les recherches préparatoires, contacter les acteurs sur
place, c’était un énorme boulot. Mais il était nécessaire pour bien me préparer
et me sentir légitime, moi qui commence juste à travailler sur cette zone. J’ai
été impressionnée par ce que j’ai lu sur la situation des personnes étrangères
en Hongrie et la dureté des politiques à l’œuvre. Et une fois sur
place, qu’est-ce qui t’a le plus impressionnée ? Paradoxalement, ce n’est pas tant le traitement des
personnes étrangères qui m’a le plus marquée –sans doute parce que je m’y
attendais du fait de mes recherches – que la situation de la liberté de la
presse en Hongrie, et l’ampleur de la propagande gouvernementale. Le parti au pouvoir, le Fidesz, fait son beurre sur la
question des migrations en cultivant les peurs. En 2015, le pays, comme
d’autres situés sur la route des Balkans, a été traversé par un million de
personnes. Elles ne sont pas restées, mais le Fidesz exploite ce chiffre et le
chiffre potentiel de personnes qui, selon eux, s’installeraient s’il n’y avait
pas de mesures sécuritaires. Il entretient des fantasmes délirants, notamment
sur l’Europe : la relocalisation par exemple est présentée comme un plan
machiavélique de Bruxelles pour envahir la Hongrie, et qu’il faut à tout prix
arrêter. Une autre cible est Georges Soros, créateur de la fondation Open
Society, accusé d’avoir un plan secret pour installer des millions de personnes
d’Afrique et du Moyen-Orient en Hongrie. Il y a des affiches « Stop
Soros » en 4x3 partout, c’est complètement dingue à voir. En France, même
les partis les plus amateurs et les plus extrêmes n’oseraient pas utiliser une
rhétorique pareille. ![]() Concernant la
collecte de données, qu’est-ce que le fait d’être sur place apporte de plus que
des recherches à distance ? Nous avons collecté beaucoup de données qu’il aurait été simplement
impossible d’obtenir depuis la France. Il est difficile par exemple d’avoir des infos précises et
fiables sur les procédures d’admissions en Hongrie : c’est très complexe
et il nous a fallu plusieurs entretiens pour vraiment comprendre. Au début de la mise en place des zones de transit, il y
avait un certain nombre d’organisations en Hongrie, présentes dans ces lieux,
dont on pouvait lire les rapports et les analyses. Mais depuis, de nombreux
financements ont été coupés, les acteurs sur place se sont faits rares et sont
très prudents sur les informations qu’ils délivrent. J’ai été choquée en me
rendant compte des menaces que les ONG sur place subissent, elles ont très peur
de ne pas pouvoir poursuivre leurs activités. En les rencontrant, on peut lire
entre les lignes et comprendre plus de choses, elles peuvent nous passer leurs
messages. C’est la même chose pour la presse. Je repense à cette
journaliste dont l’emploi est menacé et que nous avons rencontrée dans un
café : elle parlait tout bas, guettant les personnes autour de nous… Il
aurait été impossible de gagner cette confiance à distance. Et les personnes migrantes,
vous en avez rencontrées aussi ? Nous avons fini par rencontrer des personnes par nos propres
moyens, dans un squat en Serbie. C’était des jeunes hommes, marqués par le
froid et par les conditions terribles dans lesquelles ils vivent. Mais l’une des choses impressionnantes en Hongrie, c’est justement
à quel point les personnes migrantes sont peu visibles. Les zones de transit
sont à l’abri des regards. Les rares personnes qui parviennent à obtenir le
statut de réfugié ne restent généralement pas en Hongrie car il n’y a aucun
programme d’insertion. Du coup, il n’y a pas de personnes migrantes en
situation régulière, en liberté, visibles, des personnes que les Hongrois
pourraient rencontrer, avec qui ils pourraient discuter de leur situation, de
leur parcours… Et cette mise au ban, à mon sens, c’est ce qu’il y a de plus
dangereux. Qu’est-ce que tu
retiens de cette mission ? Ce que nous avons vu en Hongrie et en Serbie, pour moi,
c’est vraiment la politique du pire. Et si on n’est pas très vigilant, si on
s’habitue à des formes de dissuasion de la solidarité, à des formes de mise à
l’écart, c’est ce qui pourrait nous arriver ici en France. Je vois d’autant
mieux l’intérêt d’un front associatif, de pouvoir nous soutenir si nous avions
le même type de menaces financières que là-bas. Et je vois d’autant mieux,
aussi, l’importance pour les associations d’avoir une lecture politique des
évènements, même quand elles ont une action qui se veut avant tout caritative. D’un point de vue plus pratique, je
retiens aussi qu’il
était très précieux de partir à trois. Que
ce soit pour la préparation, la
présence sur place, l’écoute et la prise de notes,
la logistique… Et il était particulièrement
agréable de bosser avec une bénévole
impliquée en amont dans la préparation, et
sur un sujet qu’elle connaissait bien, ce qui a beaucoup
facilité les
choses : j’en profite donc pour dire un grand merci à
Maïté ! Aller plus
loin : - Lire l’article sur notre site Internet : En Hongrie, les personnes migrantes et leurs
soutiens, otages d’un contexte politique de plus en plus délétère
- Lire le compte-rendu de la mission - A noter dans vos agendas : la journée de décryptage « Une Europe qui s’emmure : voie sans issue ? », le vendredi 29 juin à Marseille (plus d'informations à venir) - A venir le 29 juin : le rapport d'observation sur les frontières intérieures et extérieures de Schengen |