L'actu du moment - Christophe Deltombe, nouveau président de La Cimade29 juin 2018 | Christophe Deltombe vient d’être élu président suite à l’assemblée générale du 23 juin. Il répond ici à quelques-unes de nos questions, afin de permettre aux cimadiennes et cimadiens de mieux le connaître. Peux-tu nous parler de ton parcours ? Tout d’abord, je suis avocat : j’ai prêté serment en décembre 1972 et j’ai monté mon cabinet avec comme spécialité le droit du travail et le droit pénal. En 1974-75, je suis parti comme coopérant en Haute Volta, pays qui s’est ensuite appelé le Burkina Faso. De retour d’Afrique, nous sommes entrés, ma femme et moi, dans le mouvement La Vie nouvelle, dont j’ai été président de 1983 à 1987. La Vie nouvelle est un mouvement d’éducation populaire inspiré du personnalisme d’Emmanuel Mounier, réunissant des chrétiens et des non-chrétiens et incitant à l’engagement dans la cité. Ce mouvement a été un lieu de formation exemplaire pour beaucoup de militants politiques, syndicaux et associatifs. En 1975, j’ai participé à la création de la première boutique de droit, dans le 19ème arrondissement de Paris, avec une dizaine de personnes, juristes et non juristes. Les permanences gratuites et collectives permettaient des échanges entre toutes les personnes participantes, visiteuses et permanentes. La place de chacun·e n’était pas hiérarchisée et la parole d’autorité associée au savoir était par conséquent relativisée. Il y a eu une vingtaine de boutiques de droit en France. Dans ces années-là, j’ai travaillé sur les questions de logement, et suis devenu l’avocat de la Confédération Générale du Logement (CGL), qui fait partie du mouvement Emmaüs. Je suis devenu par la suite, le conseil d’un certain nombre de structures du mouvement Emmaüs, à la fois comme avocat et comme militant. Petit à petit j’ai été de plus en plus sollicité pour des interventions, des colloques… Puis je suis devenu président d’Emmaüs France de 2007 à 2013. Avec quelques amis, J’ai monté en 1989 le Club Citoyens, lieu de débat sur des questions de société. Le club compte une centaine de membres et se réunit une fois par mois avec l’aide de spécialistes sur les thèmes choisis. Ainsi, en octobre dernier, j’ai demandé à Eva Ottavy, responsable des solidarités internationales à La Cimade, d’intervenir sur la politique d’externalisation de la protection des frontières de l’Europe et les accords passés avec les pays tiers concernant les migrations. Pourquoi avoir accepté la présidence de La Cimade ? Dès que j’ai pris mes fonctions à Emmaüs France, je suis entré en lien avec Patrick Peugeot, président de La Cimade à l’époque, car la collaboration entre communautés Emmaüs et groupes Cimade existe un peu partout en France. Les personnes étrangères arrivant à Emmaüs sont nombreuses et les équipes n’ont pas toujours les compétences pour les accompagner sur le plan juridique. Les liens entre les structures se sont tissés naturellement au fil du temps. J’avais par ailleurs des amitiés à La Cimade. A la suite de l’élection de Nicolas Sarkozy, nous avons décidé avec Patrick Peugeot et François Soulage (président du Secours Catholique), de faire du lobbying ensemble et tenter de peser sur le projet de loi d’Eric Besson Ministre de l’Immigration, de l’Intégration et de l’identité nationale. Ces rencontres se sont ensuite pérennisées mensuellement, et nous avons associé les présidents du CCFD - Terre solidaire, d’ATD Quart Monde, de Médecins du Monde et du Secours islamique autour des questions touchant aux migrations. Ces rencontres se poursuivent encore aujourd’hui. La question migratoire m’a toujours tenu à cœur. J’avais milité en 2009 pour l’organisation de la manifestation contre le délit de solidarité, un responsable de communauté Emmaüs ayant été mis en garde à vue pour avoir refusé de donner à la police le listing des compagnons de sa communauté. Les communautés Emmaüs, qui accueillent toutes des sans-papiers, sont des lieux de refuge et d’intégration formidables. Lorsque le ministère de l’Intérieur a envisagé de venir faire des contrôles au sein des communautés, nous avons menacé de venir occuper la place Beauvau avec tous les camions Emmaüs – et ils sont nombreux ! Le ministère a dû céder et cela nous a permis de sanctuariser les communautés, mais pour combien de temps ? En 2013 Geneviève Jacques a succédé à Patrick Peugeot à la présidence, et m’a proposé il y a un an de prendre sa suite. Comment perçois-tu La Cimade ? Comme un lieu où bénévoles et militant·e·s travaillent ensemble harmonieusement. La Cimade est un mouvement exigeant, supposant un véritable engagement, soutenu par des formations de qualité et accompagné par une équipe salariée très compétente. Son éthique s’appuie sur une histoire longue et riche où la considération des hommes et des femmes en détresse est la préoccupation première. La Cimade a su évoluer au cours de l’histoire face aux événements, mais ses convictions ont toujours été portées par une même conception de l’accueil. La Cimade ne fait jamais l’économie d’une réflexion de fond : à l’époque de sa création, la présence dans les camps de prisonniers a pu poser question en particulier en 1945. Aujourd’hui sa présence en centres de rétention, l’ouverture de nouvelles permanences juridiques, le cantonnement au juridique ou l’ouverture à d’autres dimensions, l’engagement comme opérateur à Massy ou à Béziers pourraient être objets de débat. Les choix qui sont faits ne sont jamais des évidences, le débat est toujours là et c’est une véritable richesse. A l’extérieur, La Cimade est considérée par la qualité de ses analyses, le sérieux de ses travaux, la compétence de ses salarié·e·s et de ses bénévoles. Elle jouit d’une reconnaissance importante dans l’opinion. C’est une association écoutée, y compris par des élu·e·s et les pouvoirs publics, même s’ils s’en défendent. D’après toi, quels sont les grands défis qui nous attendent ? Nous sommes face à un défi de société. Les droits fondamentaux sont aujourd’hui en danger. Les gouvernants, sans les remettre en cause officiellement, en restreignent l’accès par des lois qui s’ajoutent à d’autres lois année après année, par des pratiques de brimades, par des actes quotidiens auxquels les forces de l’ordre et les personnels des préfectures sont conduits sur ordre ou par dépit d’absence de moyens. C’est à la fois hypocrite et liberticide. C’est ce qu’on observe avec la loi asile et immigration actuellement en débat. Aujourd’hui ce sont les personnes migrantes qui sont visées, mais ce cynisme politique risque de s’étendre à d’autres domaines. Les pauvres et les exclu·e·s font les frais d’une politique libérale aveugle, et le gouvernement d’opinion, c’est-à-dire le populisme, n’est pas loin. Un autre défi essentiel, qui découle du précédent, est la question de l’opinion publique. La bataille est ouverte en France et en Europe, et on sait qu’elle sera dure. L’Aquarius en est un bon exemple. Le refus par le gouvernement français qu’il accoste dans un de nos ports, après avoir été refusé par l’Italie, a divisé l’opinion. Il est vrai que 56% des Français ont approuvé la fermeture des ports français. Or, certains dirigeants politiques et une partie de l’opinion publique se sont indignés de cette attitude et ont conduit le gouvernement à annoncer que la France prendrait sa part de l’accueil, ce qui montre que l’action sur l’opinion publique est payante, même quand elle est minoritaire. Même chose pour le délit de solidarité. Il y a un véritable combat d’opinion aujourd’hui entre le gouvernement et la société civile. Ce sera un combat à mener dans les années qui viennent. Les élections au parlement européen seront le l’occasion de nous faire entendre sur ces questions. Que voudrais-tu apporter à La Cimade ? J’aimerais participer à la réflexion collective sur ces enjeux. Je sais qu’il y a dans l’ensemble du mouvement une conscience aigüe de l’importance de ce combat d’opinion. Il est essentiel de rallier un maximum de nos concitoyens à une conception accueillante de la société et respectueuse des droits fondamentaux. Si elle est finalement adoptée, la nouvelle catégorie d’adhérent·e·s (les membres solidaires) sera une chance supplémentaire pour contribuer à ce ralliement, faire que nombre de Français et de Françaises puissent dire : « j’appartiens à ce camp-là, je me reconnais dans ces conceptions de l’accueil de l’étranger, je demande le respect des droits fondamentaux ». Les groupes de sensibilisation pourront aussi être renforcés par certain·e·s qui n’auraient pas forcément le temps nécessaire pour tenir une permanence mais aimeraient participer à cette démarche de sensibilisation. J’aimerais aussi aider au renforcement des liens avec des mouvements comparables, en France et en Europe, parce que l’action concertée est le meilleur moyen d’avancer. Comment envisages-tu tes premiers mois de présidence ? J’ai déjà commencé, avant d’être élu, à aller dans les régions et groupes Cimade : Paris, Massy, Strasbourg, Lyon, Lille, Auch, Amiens… J’y ai rencontré pas mal de monde, beaucoup discuté : être en lien avec les groupes, les élus régionaux, le mouvement dans toutes ses dimensions est essentiel. La Cimade est un mouvement national, pas simplement parisien : il faut que nous échangions le plus possible et je vais continuer à le faire. Je vais également m’imprégner des différents espaces de travail du mouvement pour en comprendre les logiques, comme les CRA ou le CADA de Béziers, les permanences santé. Et puis les instances élues sont les moteurs des régions et du national. Il faut qu’elles facilitent toujours les échanges sur les pratiques, l’actualité et les questions de fond, ce qui est semble-t-il le cas actuellement. Pour conclure, je voudrais dire qu’être minoritaire n’a jamais été un handicap dans l’action. C’est même souvent un stimulant et c’est dans l’ADN de La Cimade par ses origines. Nos convictions sont fortes sur ce que notre société doit être, sur la richesse de l’ouverture à l’autre, sur la nécessaire mixité sociale, sur la dignité des êtres humains insuffisamment respectée aujourd’hui, sur le principe que la fin ne justifie pas les moyens, quels que soient les objectifs politiques, et sur la défense en toute circonstance des droits fondamentaux. Ces convictions sont notre raison d’être et d’agir. ![]() |