Dans le jus : Les nouveaux outils de la politique d'expulsion29 novembre 2018 | Les expulsions du
territoire, pierre angulaire de la politique migratoire, passent par de
nouveaux dispositifs de plus en plus sournois. Point avec Clémence Richard,
responsable nationale de la thématique expulsion, sur ces procédures souvent
invisibles et pourtant essentiels à identifier et combattre. Alors que la politique migratoire se fait de plus en plus répressive, la politique d’expulsion prend depuis quelques années des formes nouvelles. Si pendant longtemps, la rétention administrative a été l’outil principal au service de l’expulsion, de nouveaux dispositifs se sont développés, qui viennent non pas remplacer la rétention mais s’y additionner. « Mon poste a été créé il y a un an et demi pour se consacrer spécifiquement aux dispositifs de contrôle « hors les murs », qui ne sont ni de la rétention ni de la prison, et échappent donc bien souvent au regard de la société civile », explique Clémence Richard, responsable nationale de la thématique expulsion. « Il s’agit notamment de s’intéresser à toutes les personnes qui sans être enfermées, sont sous le coup d’une obligation de quitter le territoire (OQTF) ou d’un dispositif de contrôle en vue de leur expulsion. » L’aide au retour volontaire : un tiers des personnes éloignées L’aide au retour volontaire est un dispositif qui n’a pas été créé récemment, mais dont l’utilisation est en très forte hausse : plus de 50% d’augmentation pour la seule année 2017. Elle représente aujourd’hui, à elle seule, un tiers des éloignements du territoire (7 000 retours volontaires vs. 15 000 expulsions forcées en 2017). Or il faut se méfier de cette appellation de volontaire : « La dimension soi-disant choisie fait une part de plus en plus belle à la contrainte, et il s’agit bien souvent d’expulsions forcées qui ne disent pas leur nom », dénonce Clémence Richard. Pour inciter les personnes étrangères à opter pour le retour volontaire, l’OFII use en effet de plusieurs techniques qui, si elles s’avèrent efficaces, ne s’appuient pas toujours sur la prise en compte de la volonté des personnes. « La pression de l’OFII se fait de plus en plus tôt dans la procédure, avant que la personne soit sous le coup d’une OQTF », explique Clémence Richard. « La proposition d’aide au retour volontaire a par exemple été faite lors des opérations d’évacuation de campements dans le nord de la France. On a fait peur aux personnes en leur disant qu’elles n’ont pas d’avenir en France, que de toute façon c’est ça ou la rétention… » Autre technique : des passages de l’OFII dans les campements, pour faire une information non pas sur l’asile mais sur le retour volontaire. « Généralement, ce sont des primo-arrivants, donc tout à fait éligibles à une demande d’asile, mais c’est une façon de les en détourner. » Pour renforcer ce dispositif, 13 centres de préparation au retour ont été créés sur le territoire. On y accueille les personnes pendant 45 jours renouvelables une fois, et on y fait la promotion du retour volontaire, en précisant aux personnes que si elles refusent, elles seront dirigées vers la rétention ou retourneront à la rue. La crise de l’accueil, qui place les personnes dans une situation d’usure, d’épuisement et de précarisation, constitue un terreau qui va inciter les personnes à accepter la proposition. Et le tout se passe loin des regards, notamment celui de La Cimade, car ce sont des personnes qui ne passent pas par nos permanences. « Tout ce dispositif se fait dans une très grande opacité, sans regard de la société civile et avec très peu de visibilité sur les agissements de l’OFII », s’inquiète Clémence Richard. « Il s’agit d’un véritable angle mort de la politique d’expulsion, alors qu’il touche un tiers des personnes éloignées. Il est essentiel de voir comment La Cimade peut avoir un regard là-dessus et témoigner de ce qui se passe. » L’assignation à résidence : à l’abri des regards Nouvel outil au service de l’expulsion, l’assignation à résidence a longtemps été présentée comme une alternative à la rétention. Il apparaît clairement aujourd’hui qu’il s’agit d’un dispositif qui n’a rien d’une alternative mais au contraire se cumule. L’assignation à résidence est une mesure de contrôle restrictif de liberté, qui impose à une personne résidant à son domicile ou dans un centre d’hébergement de rester dans un périmètre donné (qui peut être un département, une commune, ou seulement quelques rues – à la libre appréciation du préfet). Elle doit pointer au commissariat ou à la gendarmerie, à une fréquence qui peut aller jusqu’à une fois par jour. « Nous avons fait des observations à Rennes et au Mesnil-Amelot pendant 6 mois : 20 % des personnes assignées avant le placement en centre de rétention devaient pointer une fois par jour, et 66% plusieurs fois par semaine », indique Clémence Richard. « Il s’agit donc d’un dispositif extrêmement contraignant. » L’utilisation de ce dispositif a véritablement explosé en quelques années : alors qu’il ne concernait que quelques centaines de personnes en 2011, il en a touché près de 9 000 en 2017. « Le nombre de personnes assignées à résidence double chaque année depuis 2014 » souligne Clémence Richard. « A titre de comparaison, il y a eu 21 000 placements en rétention en métropole en 2017. L’assignation à résidence représente donc près d’un tiers des personnes contrôlées, pour une mesure qui il y a quelques années était quasi inexistante ! » La restriction de liberté imposée par l’assignation à résidence s’accompagne d’un accès à la justice très difficile. Les délais de recours sont de 48h et aucun accompagnement juridique spécifique n’est prévu. Une grande partie des personnes sont en outre isolées géographiquement, notamment celles hébergées dans des centres d’hébergement comme les PRAHDA, souvent excentrés des centres villes et mal desservis par les transports en commun, ce qui leur permet d’autant moins de bénéficier d’un accompagnement. L’assignation à résidence est en outre le terreau d’expulsions illégales : on relève de nombreux cas de personnes interpellées à domicile et emmenées en CRA ou directement dans un avion, sans aucune base légale. « Dans la majorité des cas, les personnes se font interpeler lors d’un pointage, alors qu’elles viennent en toute bonne foi répondre à leurs obligations. Elles sont alors prises par surprise et se font embarquer sans moyen de défense. Il y a là une véritable stratégie d’évitement du contrôle judiciaire – car du coup les personnes ne voient pas de juge – et une véritable opacité puisque tout se passe en incognito. » Ce dispositif de l’ombre interroge donc les pratiques de La Cimade : comment témoigner et avoir un discours politique sur la situation de ces personnes, alors que nous ne les voyons pas toujours dans nos permanences ? Un groupe de travail national réfléchit actuellement à des propositions d’actions, afin de proposer une feuille de route aux régions qui souhaiteraient travailler sur le sujet. Les mesures de bannissement Une autre mesure est en pleine explosion depuis deux ans : l’interdiction de retour sur le territoire français, délivrée par la préfecture suite à un refus de titre de séjour. Le nombre de cas a augmenté de 1000% depuis 2016, passant de 2 000 IRTF à 20 000 en 2017 ! Et cette hausse devrait se poursuivre car depuis 2018, elles sont désormais automatisées et délivrées systématiquement à toutes les personnes recevant une OQTF sans délai de retour volontaire, ou n’ayant pas quitté le territoire dans le délai du départ volontaire. « Il s’agit d’une mesure extrêmement bloquante pour les personnes », analyse Clémence Richard. « En effet, la durée d’une IRTF peut aller jusqu’à 3 ans, et leur durée ne commence à courir qu’à partir du départ effectif du territoire. Du coup, elle agit comme une épée de Damoclès pour les personnes qui restent, susceptible de les poursuivre et les bloquer dans leurs futures démarches de régularisation en préfecture, y compris s’il y a des éléments nouveaux qui leur permettraient d’être régularisées. » Si des cas commencent à apparaître dans les permanences, leur nombre risque d’exploser dans les mois et années à venir, quand les personnes entameront des démarches de régularisation. « Bien souvent, les personnes n’ont pas conscience d’être sous le coup d’une IRTF, car elle est incluse dans l’OQTF. Il y a donc un fort enjeu à ce que cette mesure soit bien identifiée, à la fois par les personnes et par les équipes de La Cimade qui les reçoivent ! » Pour accompagner les cimadien·ne·s dans la bonne compréhension de cette mesure, une journée nationale sur le bannissement est prévue au 1er semestre 2019. Elle permettra de dresser un état des lieux des enjeux et de réfléchir aux stratégies d’action à développer. « Je suis à la disposition des régions et des groupes locaux pour les soutenir sur toutes les questions liées à l’expulsion », rappelle Clémence Richard en guise de conclusion. « Il peut s’agir de réponses à des alertes sur certaines situations, d’un soutien technique, d’un accompagnement stratégique sur des actions à mener… C’est en travaillant ensemble que nous pourrons accompagner les personnes victimes de ces dispositifs, témoigner de tout ce que nous voyons sur le terrain et créer des nouvelles formes d’actions associatives pour alerter et stopper les conséquences de ces nouvelles dispositions ! » Contacter Clémence Richard : 01 84 86 15 95 / clemence.richard@lacimade.org Aller plus loin (à lire sur lacimade.org) : - Les chiffres 2017 de l’expulsion - L’observation sur les assignations à résidence menées depuis les CRA du Mesnil-Amelot et de Rennes - Le petit guide « Dénoncer la machine à expulser » |