#30 - juillet 2019
La Cimadine
Actu du moment

La mobilisation continue !

Interview de Marine De Haas, responsable des questions européennes.

A propos des résultats des élections européennes

« Le taux de participation a été plutôt une surprise pour moi. Même si le taux d’abstention reste haut, je m’attendais à ce qu’il se rapproche de celui des élections européennes précédentes. C’est donc plutôt positif. Ce qui l’est moins, c’est le score de l’extrême droite.
En revanche, le résultat des Ecologistes est positif !

Ce que ça montre ? Un certain équilibre des forces sur l’échiquier politique. Pour que certaines idées passent, il y a un véritable enjeu de construction de coalitions selon les thématiques à défendre pour se donner la possibilité d’avoir une majorité.

Dans l’expectative aujourd’hui, les associations et acteurs de la société civile attendent de voir la ligne politique de la nouvelle Commission européenne. En ce moment, on assiste à l’installation des eurodéputé·e·s au sein du Parlement et au jeu des négociations sur les postes clefs de la Commission européenne.

J’imagine que dans ce repositionnement politique, les questions migratoires seront présentes, notamment liées à l’asile et à la réforme du règlement Dublin. Les échanges entre collectifs et associations annoncent d’ailleurs une suite à la mobilisation contre ce règlement et ses impacts pour les personnes étrangères. Pour la société civile, la question de la directive retour, et les questions d’enferment et d’expulsion plus généralement feront sûrement partie des mobilisations à venir.

La question du sauvetage en Méditerranée et de l’externalisation du contrôle et de la répression vers des pays comme l’Egypte ou la Libye va continuer à être un fort enjeu de mobilisation parmi les acteurs européens dans les mois et les années à venir.

Sont prévues des mobilisations dans de nombreux endroits et sous plusieurs formes pour parler du scandale des mort·e·s et disparu·e·s sur les routes de l’exil, de la situation aux frontières et de la criminalisation des personnes étrangères et de leurs soutiens : des actions de rue aux logiques de contentieux en passant par des démarches de plaidoyer. »

Manifestation Stop Dublin à Paris par Bénédicte Fiquet
La Cimade a sorti pendant la période des élections un rapport sur la procédure Dublin justement. Comment la définirais-tu en un mot ?

« Kafkaïenne ! »

Pour toi, la procédure Dublin c’est quoi ?

« C’est une énorme machine, tellement lourde qu’elle écrase les gens. Elle n’est pas efficace et dangereuse, à la fois pour les personnes et pour l’Europe, c’est l’absurdité même.
Un puits sans fond de jurisprudence, d’interprétation de délais à respecter, etc. ».

Quelles sont les conséquences de ce système sur les personnes concernées ?

« Ce texte, dans sa pratique quotidienne, a une visée dissuasive forte. Les personnes peuvent rester des mois, voire des années sans possibilité d’être entendues.

On les plonge dans une précarité administrative et sociale totale voulue par ce système qui les épuise mentalement et physiquement.

Des personnes déjà fragilisées se retrouvent à la rue, à attendre parfois plus d’un an et demi, deux ans, sans pouvoir être entendu sur les raisons de leur fuite.

Des personnes se retrouvent contrôlées, traquées, à devoir pointer toutes les semaines, tous les jours au commissariat, tout cela parce qu’elles souhaitent demander l’asile en France et non en Hongrie, Italie ou Espagne…

Des familles avec enfants sont placées en Centre de rétention administrative. Imaginez, vivre dans un lieu fermé entouré de policiers et policières : on créé des traumatismes chez les enfants, chez les adultes.

Dissuader les personnes de venir/rester ici en les maintenant dans des états de précarité extrême, c’est ça l’ambition des politiques publiques ?
Pour les dissuader, on dépense en plus un « pognon de dingue »… C’est complètement fou ! »

Pourquoi avoir écrit ce rapport ?

« Il faut savoir que la part des personnes dublinées dans le total des demandeurs et demandeuses d’asile a beaucoup augmenté en France. En 2018, un tiers des personnes souhaitant déposer leur demande d’asile en France ont été placées en procédure Dublin. On atteint presque la moitié pour l’Île-de-France.

Par ailleurs, au niveau européen, la Commission a souhaité réformer Dublin III et a fait une proposition scandaleuse qui n’a cependant pas aboutit jusqu’à aujourd’hui. Le texte du règlement Dublin fait l’objet d’un blocage au sein de l’Union européenne, notamment au sein du Conseil. Pourquoi ? Parce qu’il pose des questions fondamentales : c’est la pièce maîtresse du système d’asile européen.

Au-delà de l’enjeu politique qu’il implique, il y a les impacts tout à fait concrets de ce système sur la vie des personnes exilées. Il nous a paru important d’avoir un outil d’analyse assez "grand public", en tout cas au-delà du mouvement et des associations, pour rendre le sujet le plus visible possible et pouvoir interpeler des responsables politiques sur la base des positions et analyses de La Cimade.

La Cimade a de nombreuses ressources juridiques et des connaissances fines du sujet depuis de nombreuses années. L’objet a été de mobiliser toutes ces connaissances et personnes ressources pour construire ce rapport. Il touche des thématiques transversales : enjeux européens, asile, rétention, conditions accueil, expulsion, etc ».

Un exemple de ce que l’on peut y trouver ?


« Le règlement Dublin poursuit une logique absurde : fixer les personnes en quête de protection dans un pays qui leur est assigné sans que celles-ci n’aient leur mot à dire. Pour mieux étayer notre propos et le rendre accessible, nous avons fait des infographies

Carte des transferts Rapport d'observation Dublin La CimadeTransferts entrants, transferts sortants : usine à gaz

Celle-ci montre la logique de saisines et de "transferts" (ou expulsions intra-européennes) entre plusieurs pays européens et la France. La France saisit les autres Etats européens pour des dizaines de milliers de cas chaque année.

Le taux de transfert, quant à lui, est relativement bas par rapport aux objectifs, autour de 12% des "accords" en 2018. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer : les personnes disparaissent avant d’être expulsées, les délais sont dépassés, etc. Cela veut dire qu’un nombre important de personnes dublinées finit, parfois après de longs mois ou années, à accéder à la procédure.  

Ainsi en 2018, la France a expulsé près de 3 500 personnes qui voulaient déposer leur demande d’asile sur place et a "reçu" près de 2 000 personnes qui ne voulaient pas venir demander l’asile en France. C’est ubuesque car ce système ne respecte pas la volonté des personnes. La seule logique est celle de procédures administratives appliquées coûte que coûte.

Par ailleurs, cette infographie vise à souligner que des renvois sont faits vers des pays comme l’Italie, la Hongrie, la Bulgarie où des défaillances systémiques du droit d’asile ont été documentées, et vers l’Allemagne, la Norvège, la Suède, où des risques d’expulsion par ricochet, par exemple vers l’Afghanistan, sont bien réels ».

A quoi devrait ressembler le prochain règlement Dublin selon toi, s’il devait y en avoir un ?

« La Cimade a une position qui se situe dans le cadre européen. De son point de vue, s’il n’y a pas de système commun, ce sera à l’encontre des droits des personnes, car le risque de repli des Etats est très fort. Ce n’est pas une position partagée par tous les acteurs associatifs.

Le cadre européen peut aussi fournir des garanties et protections des personnes en demande d’asile, notamment via les Cours européennes, même si dernièrement, les législations européennes sont de plus en plus répressives.

Les recommandations de La Cimade portent à la fois sur des questions internationales et européennes comme l’accès au territoire, les logiques d’externalisation ou encore le tri aux frontières mais également la situation des personnes dublinées en France en abordant les questions d’accès à la procédure, d’hébergement, de rétention, de mesures de contrôles, etc.

Ces recommandations sont en lien avec la "position Dublin" que La Cimade a adopté en 2017, en défendant l’urgence de repenser un système européen d’asile véritable, qui laisse aux personnes la possibilité de choisir leur pays d’accueil, mais qui œuvre également en faveur d’une plus grande harmonisation des conditions d’accueil et des procédures "vers le haut" (en faveur des droits des personnes)».

Que fait-on maintenant ?

« On continue à se mobiliser au maximum pour faire connaitre ce règlement et pour mieux le combattre tout en réfléchissant à la suite, surtout si cette question épineuse revient au centre des débats européens prochainement.

Ce rapport et les infographies peuvent être un outil de mobilisation : organiser des soirées-débats, se mobiliser avec les personnes dublinées comme ce fut le cas le 14 juin à Bourg-en-Bresse

Le rapport a également été traduit en anglais. Cela permettra de le transmettre à d’autres organisations européennes intéressées par la situation en France mais également aux personnes dublinées accompagnées qui ne parlent pas français ».

Merci à Marine !
Crédits photos : Bénédicte Fiquet / Photo Cimade

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