#30 - juillet 2019
La Cimadine
dans le jus

Jeunes en danger isolé·e·s, comment agir ?

Les préfectures et des départements pratiquent la suspicion généralisée à l’encontre des jeunes en danger isolé·e·s. Pour les enfants, ce sont leurs droits qui sont oubliés, voire bafoués : refoulement à la frontière, modification de leur document d’état civil, pas de mise à l’abri, suspicion de fraude, pas de protection. La dernière loi du 10 septembre 2018 vient durcir cette réalité.

« C’est la première fois que sont intégrées les questions liées à la protection de l’enfance dans une loi asile, séjour, immigration. Il s’agit d’un réel changement de paradigme :

l’enfant est d’abord considéré comme une personne étrangère avant d’être considéré comme un enfant à protéger.
Nous sommes passés de 500 mineur·e·s étranger·e·s isolé·e·s pris·e·s en charge en 2013, à 6 000 en 2016 et 17 000 en 2017. Ces chiffres sont dérisoires par rapport au nombre de jeunes accompagné·e·s par l’aide sociale à l’enfance (ASE) en France. S’il y a une augmentation de mineur·e·s étranger·e·s isolé·e·s sur le territoire français leur arrivée met en lumière les véritables dysfonctionnements de l’ASE. », explique Violaine Husson, responsable Genres et protections de La Cimade.

L’utilisation des tests osseux

Cette année, le Conseil constitutionnel a considéré que le test osseux n’était pas contraire à la Constitution. Il a toutefois encadré leur utilisation en les assortant de garanties. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel consacre « une exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ».
 

Fichier des mineur⋅e⋅s isolé⋅e⋅s

Avec cette nouvelle disposition voulue par le gouvernement et déjà mise en place dans certains départements le principe de suspicion à l’égard des enfants prévaut.
« Certains départements incriminent les jeunes en présumant que ce sont de faux et de fausses mineur·e·s ».
JEDI Cimade

La nouvelle loi impose le contrôle de tous les enfants qui demandent l’aide sociale à l’enfance.

Aujourd’hui, un enfant est « accueilli » par le Commissariat ou la préfecture. Résultat ? Il y a une grosse chute du nombre d’enfants qui demandent une protection.

A Paris, les associations spécialisées ont partagé leurs vives inquiétudes en constatant une énorme baisse de sollicitations des enfants.

Dans l’Isère, même constat. « L’une des conséquences du fichage des mineur·e·s est que beaucoup partent. Depuis un certain temps, nous ne voyons plus de nouveaux et nouvelles jeunes. », témoigne Mélanie Lehnebach, bénévole pour le groupe local de Grenoble.

Alors où sont ces jeunes ou plutôt où se cachent-ils ?

La question des mineur·e·s et jeunes en danger à La Cimade ?

« Dans nos permanences, en Bretagne Pays-de-Loire, en Auvergne-Rhône-Alpes, Centre-Ouest, nous sommes amené·e·s à accompagner des enfants étrangers. Pendant de nombreuses années, La Cimade, qui travaille sur de nombreuses autres problématiques, rappelait qu’en principe les enfants n’ont pas besoin de titre de séjour avant leur majorité. C’était sans compter tous les droits bafoués de ces enfants, parce qu’étrangers. L’expertise est venue des régions et le suivi a été initié par le national en mars 2017 », rappelle Violaine.
 
Un groupe de travail composé de bénévoles et salarié·e·s s’est retrouvé pendant un an pour faire un état des lieux de la question et de l’accompagnement des équipes. Les objectifs :
•    Identifier les dysfonctionnements et faire des recommandations
•    Etablir un cadre de travail sur la question des postures, de l’accompagnement de ces jeunes
 
Le document cadre a été validé en mars 2019 par le conseil national de la Cimade. Une question centrale n’a pas pu être traitée totalement, car elle est en cours de réflexion à La Cimade : celle de l’hébergement qui reste un point fondamental.

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Interview de Mélanie Lehnebach, bénévole référente du pôle des Jeunes en Danger Isolé·e·s à La Cimade de Grenoble, membre du groupe de travail sur la question des mineur·e·s et jeunes étranger·e·s isolé·e·s

Comment avez-vous conçu ce travail ?

« Il a révélé de fortes disparités d’une ville à l’autre, comme dans l’utilisation des tests osseux, le premier « accueil » qui se fait par le département ou le commissariat, etc. En fonction des situations rencontrées, nous avons noté pour chaque groupe local qui nous a fait un retour, les situations rencontrées, les interlocuteurs et interlocutrices contacté·e·s, les réponses apportées, les actions en justice menées et leurs résultats.

Nous avons pris un temps pour définir les lignes voulues et poser les préconisations de La Cimade. Ces lignes sont regroupées aujourd’hui dans un document cadre qui pose clairement ce qui se fait et ce que l’on ne peut pas faire, et donne également des pistes de réflexion.

Une fois ce document finalisé, nous avons voulu lui donner une suite. Une journée nationale a ainsi été organisée pour le présenter. Nous voulions que les personnes puissent se l’approprier, poser les questions souhaitées, mais aussi réaffirmer notre envie, notre motivation de continuer à défendre les jeunes en danger isolé·e·s (JEDI) malgré un contexte de plus en plus fermé.

La journée nationale a permis de déterminer les objectifs régionaux et de lancer les réflexions dans chaque région et groupes locaux.

En Isère par exemple, le département a postulé pour être « pilote » dans la mise en place du fichier AEM (« Appui à l’évaluation de la minorité »), qui a vocation à s’étendre au national. Ce fichier est destiné à enregistrer les empreintes et l’état civil des jeunes demandant la protection de l’enfance. Concrètement, les jeunes sont d’abord accueilli·e·s par un·e agent·e de la préfecture avant de passer l’entretien pour évaluer leur minorité. C’est non seulement une atteinte à la présomption de la minorité, mais aussi inhumain. Nous avons un gros travail sur les évaluations à Grenoble et Lyon.

Lors de la journée JEDI, l’un des ateliers proposait d’échanger sur les pratiques positives. Dans celles que tu as pu faire, laquelle t’a le plus marquée ?


La Cimade JEDI ML
A Grenoble, l’été dernier, il y a eu quelques résultats positifs de nos actions :
Pour re contextualiser, les jeunes en danger isolé·e·s sont pris·e·s en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), mais une fois 18 ans, ces jeunes sont mis dehors.
Nous en avons accompagnés, qui avaient fait une demande d’accompagnement provisoire pour les jeunes majeur·e·s (APJM) et n’avaient pas encore reçu de réponse du département.
A la rue et sans réponse, sans notification même de demande d’APJM, que fait-on ?
En vous passant les détails, les avocates avec lesquelles nous travaillons ont notamment déposé des référés d’urgence : liberté et suspension.
La suite ? Beaucoup de jeunes ont pu être ré-hébergés, car le département a été enjoint à les reprendre en charge rapidement. Certains ont donc obtenu gain de cause, avec suspension de l’exécution de la décision et poursuite de la prise en charge dans l’attente du rééxamen de leur demande.

Ce sont les jeunes qui ont sollicités les associations. Ce point est très important : ils ont porté ce mouvement jusqu’à nous, se sont engagés et ont pris conscience des impacts que leur mobilisation pouvait avoir sur leur vie.

Nous avons pris une posture d’accompagnant et avons veillé à ce qu’ils restent maîtres de leurs actions. Nous avons mis à leur disposition des ressources matérielles (salle de réunion, matériel informatique etc.) ainsi que nos connaissances du terrain et notre expérience face aux institutions. Nous leur avons fait des propositions qu’ils ont soumises au vote en assemblée et validés ensemble (en notre absence). Nous leur avons également transmis des informations essentielles, comme le fait qu’il était permis de se rendre aux audiences au tribunal administratif (TA), en leur expliquant pourquoi il était important d’y d’assister, le poids que cela peut avoir dans les décisions, surtout quand on s’y déplace en nombre. 25 jeunes étaient dans la salle, 25 venus assister aux audiences, 25 réalités que le tribunal voit en face.
Mobilisation JEDI Sud-Est Cimade
Soutenir une mobilisation est extrêmement important pour nous aussi, bénévoles. Veiller à ne pas faire comme nous le voulons, nous adultes, mais à leur donner des cartes et à leur laisser choisir leur voie, ça ça me tenait vraiment à cœur. Nous avons été là pour les aider à formuler leurs idées, leurs revendications, leur donner des clefs et procédés pour faire leurs choix. Nous avons avec eux, fait un gros travail sur les revendications qu’ils souhaitaient porter et sur les nôtres.

Aujourd’hui, nous avons encore des contacts avec certains jeunes qui ont mené ce mouvement et ont créé un Collectif des Jeunes (majeur·e·s et mineur·e·s) En Difficulté. Cela nous a permis de savoir que depuis, le département fait les choses différemment : il y a de vrais rendez-vous mis en place, de vrais documents à remplir, de vrais entretiens avec une personne travaillant dans le social et les jeunes, et certaines demandes sont acceptées, tout cela sans que La Cimade intervienne.

La décision revient à la personne elle-même

Mineur·e·s et sans protection, nous, bénévoles, avons une responsabilité :
Nous sommes des adultes, ce sont des enfants, sans référent·e, on ne peut pas les laisser faire n’importe quoi et nous devons leur apporter un cadre.
Il faut toujours garder à l’esprit que ce sont les jeunes qui doivent prendre leur décision et que parfois ils ne sont pas à même de les prendre. Il faut trouver un équilibre entre notre rôle d’adulte vis-à-vis de l’enfant et de bénévole militant·e qui doit répondre à la demande. Parler de choix éclairé est parfois compliqué lorsqu’il s’agit d’adolescent.

C’est un accompagnement particulier, dans lequel il est difficile de prendre des distances. Qu’on le veuille ou non, nous devenons parfois à leurs yeux leur « référent·e ».

A Grenoble, il y a un tissu associatif fort qui répond aux besoins des jeunes selon des spécificités (hébergement, repas, cours etc.). Le Secours Catholique est le point de départ, vient ensuite les permanences avec La Cimade. En s’appuyant sur des intermédiaires, les jeunes peuvent construire leurs vies.

Lorsque je suis un·e jeune et que je vois que ses préoccupations juridiques prennent toute la place, je lui dis : « On est là pour t’aider à prendre des décisions, pour t’accompagner dans tes démarches et t’expliquer les différentes options, la partie juridique se passent ici. Tout le reste de ton temps, tu construis ta vie ; tu te concentres sur tes cours, tu vois tes amis, tu laisses ça dans un coin de ta tête, tu notes ce qui te tracasse pour en parler avec nous à la prochaine permanence ». Les problèmes juridiques et administratifs vont les suivre pendant longtemps, il faut que ces jeunes tiennent la distance et parviennent à construire leur vie ici dès maintenant.

Il y a un certain équilibre à Grenoble, coloré par le paysage associatif, ce qui n’est pas le cas partout. Quand il n’existe pas d’association qui se charge des aspects sociaux, les bénévoles peuvent être amenés à porter une double casquette, ce qui génère des confusions et parfois de grandes difficultés.

Une autre difficulté, ne pas être suffisamment préparé·e, voire formé·e

Parfois, nous faisons face à des personnes qui présentent des troubles psychologiques importants. Quelle est la part due aux traumatismes vécus ? Comment accompagner cette souffrance lorsqu’il y a des confusions temporelles qui ne permettent pas à un jeune d’aller à un rendez-vous chez l’avocat à la bonne heure ou le bon jour ? Et qu’il lui est impossible de raconter une histoire cohérente au département ou au juge ? Cela soulève des questions qui sont d’ailleurs ressorties lors d’une journée de travail sur les JEDI organisée par la région AURA : Comment repérer que l’on sombre ? Comment éviter de tomber dans le jugement, outrepasser ses impressions ? Et aussi comment passer le relais ? La volonté d’échange de la pratique est forte et des projets sont mis en œuvre dans ce sens : nous avons organisé une première journée de formation à la région avec un psychanalyste, Joël Clerget, spécialisé sur le thème de l’adolescence, et avons eu des échanges basés sur notre pratique concrète.

Le premier sourire après quelques entretiens, les premiers comportements d’ados que l’on décèle, là, on sent qu’on a gagné.
 
Dans l’idéal, il faudrait pouvoir faire un suivi régulier des jeunes. On voit vraiment la différence. Nous les recevons souvent désemparé·e·s, vulnérables, l’air perdu, parfois très endurci·e·s et fermé·e·s, puis on sent petit à petit qu’elle et ils s’ouvrent au monde, se reconstruisent, et on découvre des visages capables de sourire. Quand on commence à les connaître, qu’ils ont pu se reposer un peu, trouver quelques repères, on les voit rajeunir, rire bêtement de choses d’ado, se chamailler comme des enfants, et ça, ça fait du bien !

Merci à Mélanie et Violaine !

Crédits photos : Mélanie Lehnebach / La Cimade

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