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Retour de mission à Saint-Martin
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Le groupe local de Guadeloupe et
l’équipe salariée en rétention, alertés par la situation à
Saint-Martin (territoire français dans les Caraïbes), ont
mené une mission exploratoire. Objectifs ? Mieux comprendre
le contexte migratoire et frontalier, les enjeux et l’état
du réseau de défense des droits des personnes étrangères. Un contexte antagonisteLe territoire français de Saint-Martin s’est construit de manière très récente. Coupé en deux, entre la partie française et la partie hollandaise, la frontière entre les deux entités n’est pas matérialisée.Du côté français, la circulation migratoire est assez libre, ce qui contraste avec des règlements très strictes en matière de régulation. Jusque dans les années 2000, les relations entre les immigré·e·s haïtien·ne·s et les Saint-Martinois·e·s étaient assez tendues : pour mémoire des quartiers haïtiens brûlés dans les années 90. Aujourd’hui, la situation est plus apaisée. La partie hollandaise, quant à elle, est plus accessible et beaucoup plus développé au tourisme. Pourquoi avoir initié une mission à Saint-Martin ?« L’équipe rétention de Guadeloupe accompagne depuis le Centre de rétention administrative (CRA) des personnes transférées du local de rétention situé à Saint-Martin. Elle a entendu des situations assez saisissantes sur les pratiques policières, laissant penser à une zone de non droit où le réseau associatif est inexistant.La Caraïbes, dans laquelle se situe Saint-Martin, les Antilles et de nombreuses autres îles, constitue par ailleurs une zone intense de circulation des personnes. Il s’agissait aussi de mieux percevoir les dynamiques migratoires à l’œuvre dans la région et développer notre connaissance des acteurs qui interviennent dans cette zone. On a donc décidé de monter une mission exploratoire pour mieux comprendre le contexte et dépasser le sujet de la rétention en lui-même. Sur place, nous étions trois : André Bolle, Julia Labrosse, accompagnatrice en CRA et moi-même, Lucie Curet ». Comment avez-vous été reçus ?« Etonnamment bien, nous avons pu rencontrer les acteurs institutionnels sans blocage particulier. La police aux frontières à répondu à nos demandes, pour nous rencontrer et pour nous faire visiter le local de rétention.Nous avons pu rencontrer deux avocates qui interviennent sur la question et le secrétaire général de la Préfecture. L’accueil de la Préfecture a été assez mitigé. Son secrétaire général, qui a pris ses fonctions depuis peu, donnait l’impression d’un manque de recul sur le contexte et les pratiques mais ses réponses en entretien ont été complétées par un retour écrit du service immigration avec quelques statistiques notamment ». Le tissu associatif est-il bien ancré ?« Pas très développé. La réunion inter-associative à laquelle nous avons participé comprenait deux grosses structures : AIDES et La Croix Rouge et trois associations locales avec des moyens réduits. Elles travaillent peu ensemble, pas pour une question de défiance ou de difficulté semble-t-il, mais plutôt de moyens. Leurs niveaux d’actions et leurs manières d’agir sont également différentes. Il y a peu de plaidoyer collectif par exemple. En revanche, c’est grâce à ce tissu associatif et à AIDES notamment, qu’il a été possible de préparer cette mission ».Quelles sont vos observations ?Un système au ralenti après l’ouragan de 2017« La première chose saisissante, ce sont les dégâts matériels et le ralentissement des structures et administrations provoqués par l’ouragan Irma de 2017.La Préfecture, qui a dû changer deux fois de site, a repris une activité plus ou moins normale depuis l’été 2018 seulement. La situation pour la police aux frontières suit à peu près le même schéma. Il y a un vrai manque de moyens, sans doute exacerbé par cet ouragan. Ce qui frappe ce sont les activités du bâtiment qui explosent : ça reconstruit de partout ! Le groupe local de Guadeloupe a accompagné pas mal de personnes étrangères après Irma. De manière général et la mission le confirme, l’accès en matière de droits des personnes étrangères est difficile : on énumère les situations les plus courantes, de la file d’attente très importante le matin, au délai à rallonge dans la délivrance de titres de séjour et de récépissé ». Un système de la débrouille« J’ai eu cette impression d’un système de la débrouille. C’était déjà un peu le cas avant Irma mais aujourd’hui, ça l’est vraiment.Par exemple, il y a des procédures ad hoc pour organiser les démarches : les associations savent qui contacter pour sortir telle personne d’une situation type. Ça signifie aussi que quand on n’est pas dans le circuit, pas accompagné par une organisation, il n’y a pas d’accès possible. Les personnes préfèrent passer par des systèmes B, se débrouiller. Les démarches contentieuses sont très rares car elles imaginent que ça va leur retomber dessus si elles enclenchent ces démarches. Dans ce contexte, il y a encore une particularité : pas de CRA mais un local de rétention Il a une capacité d’accueil de 10 places, les droits sont affaiblis par rapport à un centre de rétention et les conditions matérielles y sont plus dégradées. En revanche, on n’y reste pas plus de 48h et d’un point de vue matériel, les conditions sont plutôt correctes ». Un contexte à fort enjeux migratoire...... et identique à la réglementation de Mayotte très stricte mais un local vide.« Le contexte migratoire a évolué aujourd’hui et il y a moins de 10 demandes d’asile en 2018. En 2018, on a dénombré 36 placements en rétention.L’activité principale de la police aux frontières est le contrôle des chantiers qui embauchent les personnes en situation irrégulières qui sont donc un maillon indispensable à la reconstruction de l’île. Après Irma, il n’y a pas eu de mesure facilitant la régularisation par le travail au motif que Saint-Martin est confronté à un fort taux de chômage. Mais de fait, les personnes qui travaillent dans le bâtiment sont des personnes étrangères ». On crée une situation dans laquelle on aliment l’expulsion alors que ces personnes participent à la reconstruction. La suite ?« On a vu qu’il y avait une grosse attente du côté de l’accompagnement juridique.Nous allons faire le bilan de la mission avec le groupe local de Guadeloupe et les personnes de la région qui souhaiteraient réfléchir sur le sujet. A cet instant T, la question qui se pose est : Comment étendre à Saint-Martin des modalités de travail et de soutien qui existent déjà depuis la Guadeloupe et au niveau national ? La piste évoquée pour le moment serait d’ouvrir des formations à distance organisées au sein du groupe local de Guadeloupe et mieux intégrer Saint-Martin dans nos actions de plaidoyers ». ![]() Vivant en Guyane depuis 2004 et ayant occupé différents postes dans l’accueil des personnes en demande d’asile en Guyane, elle a intégré l’équipe Cimade en tant qu’intervenante CRA. Depuis 2011, Lucie est responsable de l’action rétention en Outre-Mer, « avec un contexte ultra-marin passionnant et pluriel, très décalé des logiques politiques appliquées à ces territoires ». Merci à Lucie !Crédits photos : Lucie Curet / La Cimade |
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