#32 - mars 2021
La Cimadine
dans le jus

Réunification familiale : récit d'une victoire


A partir du début de la crise sanitaire et pendant des mois, les procédures de réunifications familiales pour les familles de réfugié·e·s ont été bloquées. A l’issue d’une longue procédure contentieuse portée par La Cimade et dix autres associations et requérants, une ordonnance  du Conseil d’Etat a mis fin à cette restriction. Récit d’une victoire, issue d’une synergie d’efforts locaux, régionaux et nationaux.

Le 17 mars 2020 a été décrétée par le Gouvernement la fermeture des frontières . Parmi les nombreuses conséquences de cette fermeture, les procédures de réunifications familiales, permettant aux personnes réfugiées en France de faire venir leur famille se trouvant hors du territoire français, ont été gelées comme les autres arrivées.

En juillet, un assouplissement intervient et permet la reprise très partielle des entrées sur le territoire, mais pour 13 pays seulement, peu concernés par les questions d’asile. Pour les autres pays, le ministère maintient le principe d’interdiction d’entrée sauf dérogations. Et  met en ligne en septembre une attestation de déplacement international qui les énumère : les familles de bénéficiaires de la protection internationale n’y figure pas.

A La Cimade, c’est à la rentrée que, la reprise des activités en permanences aidant, le problème des réunifications familiales bloquées émerge massivement au sein des groupes locaux.

« Les alertes me sont parvenues par plusieurs canaux » raconte Gérard Sadik, responsable national de la thématique asile. « D’abord, des sollicitations via la liste de diffusion « asile » de la part de groupes locaux qui habituellement ne demandaient jamais rien. Les sollicitations se sont faites de plus en plus nombreuses et pressantes, avec des cas de personnes bloquées depuis des mois, alors même que leur demande avait été acceptée. De mon côté aussi, j’ai été confronté à des cas particulièrement difficiles. Et en parallèle, nous avons eu des remontées d’infos par les réseaux sociaux. Toutes ces alertes concordantes nous ont révélé qu’il y avait un gros problème. »

Un constat partagé au niveau régional par Catherine Cagan, chargée de projets en région Sud-Ouest : « Dans mes échanges avec les bénévoles, que ce soit dans les questions par email, les appels téléphoniques, les réunions de débrief, je me suis mise à recevoir beaucoup de questions autour de la réunification familiale. Peu à peu je me suis rendue compte qu’il y avait plusieurs niveaux de blocage à toutes les étapes de la procédure, que nous avons identifié et listé en équipe au fur et à mesure : à l’enregistrement de la demande, lors de son examen, et à la délivrance du visa – avec une absence totale de délivrance du visa depuis des mois, voire un an ou deux dans certains consulats. » De toute évidence, au vu de ces délais, certains problèmes préexistaient au covid, la crise sanitaire ayant rajouté un blocage supplémentaire avec la problématique de l’attestation permettant de venir en France. « Ces questions préexistantes ont explosé en 2020, parce que nous avions plus de temps pour nous y pencher mais aussi parce que les difficultés se sont accentuées du fait de la crise sanitaire. »


Grâce à une bénévole de la région Ile de France, Gérard Sadik découvre qu’une instruction du Premier ministre a été signée le 15 août pour bloquer les réunifications familiales. N’ayant jamais été rendue publique via une publication sur Légifrance, cette instruction est théoriquement inapplicable et non opposable. C’est pourtant elle qui explique la réaction des ambassades et des consulats, refusant d’enregistrer, d’instruire ou de délivrer les visas des familles vivant dans des pays classés par la France comme « zones actives de circulation du coronavirus ».


Le sujet est alors discuté au sein du groupe de travail asile en cours, composé de salarié·e·s et bénévoles issu·e·s de 8 régions Cimade. Le groupe se propose d’agir sur deux fronts contentieux :
-    Au niveau individuel, du contentieux devant le tribunal administratif de Nantes, avec des avocats et en s’appuyant sur un vademecum élaboré par le groupe de travail pour faire des référés
-    Au niveau national, aller au Conseil d’Etat pour attaquer la décision générale de l’Etat de geler la délivrance de visas.

Cette stratégie contentieuse est validée par le conseil national.

Pour alimenter le contentieux, Gérard Sadik demande aux membres de la liste asile de lui transmettre quelques dossiers : il en reçoit des dizaines.

En région, en effet, les cas s’amoncèlent et les groupes s’organisent pour faire remonter l’information : « Avec Maria Lefort, du groupe local de Bordeaux, nous avons commencé à travailler sur une façon de récolter l’info auprès des groupes » raconte Catherine Cagan. « Nous avons construit un tableau que nous avons envoyé aux groupes pour recenser et documenter les différentes situations ».


Côté contentieux individuel, les multiples référés au TA de Nantes rencontrent peu de succès.

En revanche, le 21 janvier, la victoire vient du Conseil d’Etat : celui-ci suspend par ordonnance la décision de geler la délivrance des visas pour les familles de réfugiés et des résidents. Il considère que l’administration n’a pas démontré que le flux – limité – d’arrivées des familles pouvait contribuer de manière significative à une augmentation du risque de propagation du Covid-19, alors que des mesures de dépistages et d’isolement pouvaient au demeurant être imposées aux personnes autorisées à entrer sur le territoire.

« C’était une belle victoire, d’autant que ce type de décision est rare ! » souligne Gérard Sadik. « En général, on va au Conseil d’Etat en référé sur un texte réglementaire,  pour obtenir une audience au fond très rapide, ou une réinterprétation du texte. Ce n’est qu’exceptionnellement qu’on obtient une suspension, comme celle-ci. » 

Après quelques rebondissements, le 4 février, le ministère met en ligne une nouvelle attestation qui indique que les familles de réfugiées ou résidents ont un motif impérieux pour venir en France et n’ont pas besoin d’en justifier d’autres. Même s’ils restent soumis à des conditions sanitaires drastiques (déclaration d’asymptomatie, test négatif, isolement pendant sept jours), cela laisse espérer le déblocage de nombreux visas.


L’enjeu est donc ensuite de voir appliquer cette décision dans les faits. Pour cela, plusieurs outils sont mis en place :
-    Un courrier de la CFDA (coordination française pour le droit d’asile) adressé au ministère de l’intérieur, pour demander que soient prises des mesures pour accélérer le traitement des dossiers en souffrance depuis de long mois. Cette démarche vise en particulier le consulat d’Islamabad (Pakistan), qui traite les dossiers des personnes afghanes, et cumule deux ans de retard
-    Une fiche réflexe consacrée à la réunification familiale, élaborée par les régions Sud-Ouest, Sud-Est et Centre-Ouest, qui fait le point sur l’ensemble de la procédure et les recours possibles. (Ce document est en cours de finalisation et sera mis en ligne sur le site Internet dans les tous prochains jours)


« L’ensemble de ce dossier été un bel exemple de travail coordonné entre le local, le régional et le national » conclut Gérard Sadik. « C’est intéressant de voir comme ce dialogue peut permettre d’amener une situation locale vers du grand contentieux, et vers une victoire. »
Une analyse partagée par Catherine Cagan : « Sur le terrain, il y a eu les mêmes problèmes au même moment dans pleins d’endroits, et ça a rejoint une préoccupation nationale. Cette synergie a permis de travailler en même temps à tous les échelons : national, régional et local… avec une victoire à la clef ! » 

Sur le terrain, on observe d’ores et déjà des effets majeurs de cette victoire dans la délivrance de visas, même si on n’est pas encore en mesure de les comptabiliser. On ne peut donc que se réjouir pour les nombreuses familles concernées, à l’instar d’une des requérantes au Conseil d’Etat, qui a enfin pu retrouver son enfant de 7 ans, qu’elle n’avait pas vu depuis 5 ans (voir ci-dessous). Une image plus parlante qu’un long discours !


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