En ce mois de mars, « Actions communes », le journal des
donatrices et donateurs de La Cimade, a proposé le témoignage
croisé de L., femme étrangère victime de violences, et de
Pauline, la bénévole qui l’a accompagnée. Depuis leur
rencontre à l’automne 2018 à la permanence de La Cimade Île de
France dédiée aux femmes étrangères victimes de violences,
elles ont tissé un lien étroit basé sur la disponibilité,
l’écoute, la confiance. Découvrez leur récit.
L. est arrivée d’Algérie en région parisienne en 2017. A 24 ans,
elle rejoint alors l’homme français avec lequel elle vient de se
marier, rencontré quelques années plus tôt quand il passait ses
vacances à l’est de l’Algérie, dont L. est originaire. Sauf que
rien ne se passe comme prévu. Le conjoint se révèle être un
homme violent. «
Dès les premiers mois, soit il me rabaisse
soit il disparait. On dirait qu’il vit seul. Les problèmes
commencent comme ça », raconte doucement L. Pauline lui
propose de ne pas raviver la douleur en entrant dans le détail
des violences conjugales. Connaissant parfaitement le dossier,
elle résume : «
Les violences physiques ont rapidement
succédé aux violences psychologiques. L. dépose une première
main courante au commissariat en 2018. Une autre suivra. Mais
dans un premier temps, L. ne porte pas plainte. C’est un
schéma classique d’emprise. L. part, elle a peur, il s’excuse,
elle revient. D’autant qu’il y a une autre source d’emprise :
son titre de séjour lié à son conjoint, qui va bientôt
expirer. Comme d’autres femmes, L. se dit qu’il est peut-être
préférable d’attendre le renouvellement de ce titre lié à son
conjoint avant de le quitter. Quitte à souffrir voire à
risquer sa vie. » Ce schéma va se briser en 2019, après
que L. a subi de telles violences qu’elle est hospitalisée.
Ce moment-là est un point
de bascule. Vous décidez qu’il faut vous éloigner ?
L.
: Il m’a frappée comme s’il voulait me tuer... Je suis
entrée à l’hôpital. J’ai été aidée par une assistante sociale,
par les policiers aussi. Cette fois-ci, je porte plainte. Au
commissariat, on me dit, « Madame, vous ne rentrez pas chez
vous ». À cette période, j’ai commencé à travailler, je fais des
ménages. Là je suis en arrêt de travail, mais je veux reprendre.
L’assistante sociale me met en relation avec la Samu social pour
que je sois hébergée, j’y resterai plusieurs mois. Lui a
interdiction de m’approcher. L’assistante sociale me donne aussi
les contacts d’associations dont La Cimade, pour m’aider avec
mon titre de séjour.
Parce
que je veux rester ici, je veux continuer de travailler, et je
ne veux plus avoir peur.
Vous
appelez La Cimade. C’est bientôt Pauline qui vous recevra
lors de la permanence du mardi soir. Pauline, à ce
moment-là, quelle bénévole êtes-vous ?
Pauline :
Quand
je rencontre L. à l’automne 2018, je suis bénévole depuis un
an et demi. En parallèle, je travaille au sein d’une
institution en charge de la protection des femmes. Je suis
donc déjà sensibilisée à la thématique des violences et je
m’intéresse aux droits des personnes étrangères. C’est pour
ces raisons que j’ai rejoint la permanence. Etant donné qu’on
y reçoit des femmes très fragilisées, l’environnement est le
plus sécurisant possible : on accueille les personnes sur
rendez-vous une fois qu’un premier échange téléphonique a
permis d’évaluer si on peut les accompagner dans leurs
démarches. La Cimade n’intervient pas sur tous les pans
sociaux, on se concentre sur l’accompagnement au droit au
séjour, au droit d’asile, et dans toutes démarches liées aux
violences. Le plus souvent, les femmes sont prises en charge
en parallèle par des structures sociales.
Dans
le cas de L. quel sont les enjeux immédiats à régler ?
Pauline :
L’enjeu
principal est le renouvellement de son titre de séjour. Parmi
les fondements du droit au séjour pour les femmes victimes de
violence, un article stipule qu’en cas de violences
conjugales, le titre de séjour de la personne violentée peut
être renouvelé de plein droit. Sauf que dans le cas de L., s’y
ajoute le cas particulier de sa nationalité algérienne. En
raison d’un accord franco-algérien datant de 1968, ces
éléments de droit français sur le séjour ne sont pas
applicables. On doit demander un titre de séjour sur le
fondement des violences « par analogie », et la décision de
lui accorder sera à la discrétion du préfet et non de plein
droit, comme pour les autres personnes. Dans nos lettres, on
souligne que cette pratique est discriminatoire pour les
femmes algériennes, que cela les empêche de bénéficier de
titres de séjours pluriannuels (de deux ans par exemple). De
fait, on doit recommencer un dossier tous les six mois, avec
le stress associé pour la personne de se retrouver sans
papier... Le dossier de L. étant de plus en plus solide, on
s’apprête à demander une carte de résident.
Vous
vous souvenez de votre premier rendez-vous ?
L. :
Oui, je me souviens très bien de la rencontre avec madame
Pauline. J’étais si triste. Elle m’a écoutée, elle a été très
douce. J’ai vu les larmes dans ses yeux, comme si elle avait
envie de pleurer avec moi, je n’oublierai jamais ça. C’est une
personne de confiance, presque la seule autour de moi. Parce
que j’ai perdu confiance en tout le monde.
Pauline :
Le chemin parcouru par L. est remarquable… Quand je l’ai
rencontrée, elle était anéantie. Elle s’est battue sur tant
d’aspects. Il y eut ainsi le procès très douloureux de
l’ex-conjoint. Il a été condamné en 2019 mais il a fait appel,
ce n’est donc pas tout à fait terminé.
Pauline
à
L. : Vous avez réussi à prendre votre vie en main,
je suis si fière de vous.
Se
sent-on assez solide pour aider une personne qui a le vécu
de L. ?
Pauline : Comme bénévole, on acquiert progressivement
l’expérience de terrain. Les premiers mois sont durs. On a
beau être formé, on n’est pas préparé à tout. Au début, on a
tendance à vouloir trop s’occuper des personnes alors qu’une
victime de violences est précisément entourée de gens qui ne
la laissent pas maîtresse de son destin. On apprend à
accompagner la personne, et non à faire à sa place. Il y a
heureusement une très bonne dynamique d’équipe à la
permanence, on échange beaucoup. Dès que nous avons des
difficultés techniques ou psychologiques, notre responsable à
La Cimade est disponible.
En
deux ans et demi d’accompagnement, qu’avez-vous accompli
ensemble ?
L. :
Pauline m’a d’abord aidée psychologiquement en m’écoutant.
Ensuite, chaque année, elle m’a aidée à remplir mon dossier
administratif, à rédiger les lettres, à vérifier que tout
était en ordre… Depuis trois ans, mes titres de séjour ont
toujours été renouvelés. Et à chaque fois que je reçois ma
carte, je la tiens au courant, je lui dis : « C’est grâce à
vous ! On a réussi ! ». Pour moi, ces titres de séjour
signifient que je peux rester en France mais aussi que je suis
protégée. Mon droit existe.
Pauline :
L. construit sa vie ici, elle travaille, sa situation est
stable. On est donc en train de glisser vers un autre
fondement du droit au séjour qui est sa vie en France et non
plus la présence du conjoint. Sachant qu’elle a en parallèle
entamé une procédure de divorce. Il lui faut un titre de
séjour pour pouvoir divorcer ici sans risquer une expulsion. Et ces démarches en
France sont très importantes parce qu’en Algérie, le droit de
la famille n’est pas toujours en faveur de l’égalité entre les
femmes et les hommes.
Vous
avez le sentiment d’avoir commencé à reconstruire votre vie
?
L. : J’ai toujours un suivi psychologique.
Ce n’est pas facile... Je n’ai pas encore reconstruit ma vie
privée. Je vis seule et j’ai encore peur. D’autant que je vis
toujours dans l’appartement qu’avait choisi mon ex-conjoint
(il a dû quitter les lieux). J’attends le jugement définitif
du divorce pour pouvoir changer de maison. En attendant, je me
sens étrangère chez moi. Mais je suis indépendante, je
travaille, j’ai des copines, je vais mieux.
Et
vous Pauline, où vous porte votre engagement bénévole ?
Pauline : Ce travail à La Cimade
auprès des femmes victimes de violences a forgé ma conviction
de devenir avocate et d’accompagner les femmes dans tout leur
parcours judiciaire et administratif. J'ai donc passé l'examen
du barreau et je suis en train de terminer ma formation
d'avocate.
Entretien
réalisé
par Iris Deroeux