#32 - mars 2021
La Cimadine
PORTRAIT de cimadienNE

Marie-Françoise Forget, bénévole au pôle "expulsion-bannissement" à Paris

Portrait réalisé par Marion Rouillard

Marie-Françoise Forget

Comment je suis arrivée à la Cimade ?
"De 1983 à 2000, j'étais éducatrice spécialisée dans un foyer d'accueil. Nous recevions beaucoup de jeunes venus de République démocratique du Congo, avec des situations familiales très compliquées : arrivés en avion, venus rejoindre un père virtuel… et donc "mineurs isolés" à leur arrivée.
Sensible à leur histoire, je prenais ponctuellement contact avec des associations, dont La Cimade, pour avoir des explications. Cette impasse dans laquelle se retrouvaient ces jeunes de moins de 18 ans, ça me rendait enragée !
En 2000 j'ai commencé le travail de rue à Montreuil, 2e ville malienne au monde après Bamako.
Le travail de rue, en "Prévention Spécialisée", vise à repérer des mineurs qui décrochent de l'école ou qui apparaissent « paumés ». L'idée, c’est de créer une relation de confiance pour les aider ensuite à trouver une place dans leur famille, à l'école, etc. Ces jeunes sont généralement de nationalité française ou de familles avec un titre de séjour, habitant les cités… Il nous fallait bien 6 mois pour qu'on arrête de nous assimiler à des flics en civil…
La dernière année avant la retraite (2010-11), je me suis inscrite à une formation au Gisti. Ca m'intéressait, comme La Cimade que je suis allée voir : Clémence Richard m'a enrôlée, dès le jeudi suivant, au pôle "Éloignement" de La Cimade régionale !
Tous les jeudis après-midi, notre équipe reçoit, sur rendez-vous (par téléphone depuis un an !), des gens qui sont sous le coup d'une mesure d'éloignement. J'ai dû faire des formations pour moi, puis je suis à mon tour devenue formatrice sur l'éloignement pour les nouveaux bénévoles d'Île-de-France."

Ce que je constate, aujourd'hui, mars 2021 ?
Tout va de plus en plus mal. On constate évidemment l'aggravation des mesures préfectorales : je vois, pour les gens que j'accompagne, un nombre croissant de refus de titres de séjour accompagnés d'OQTF (ordre de quitter le territoire français) sur des critères de plus en plus de mauvaise foi. La préfecture met presque tout en doute : par exemple, si une femme étrangère demande une régularisation comme maman d'un enfant français, la préfecture va toujours soupçonner que le père français aura fait une reconnaissance abusive de l'enfant, juste pour permettre la régularisation de la mère.

Ce n'est pas nouveau, cette tendance au soupçon généralisé…
Non, j'avais déjà remarqué ça avant, mais je pense que ça s'est beaucoup amplifié.
Dans notre équipe francilienne spécialisée "Eloignement", de plus en plus de cas nous font nous arracher les cheveux : même des titres de séjour qui devraient vraiment être de plein droit sont rejetés par les préfectures avec des arguments complètement fallacieux. Les préfectures refusent de façon arbitraire de retenir certains éléments (les preuves que l'enfant va régulièrement à l'école, que c'est bien le père qui l'accompagne,…) prétextent le manque de preuves de présence en France alors qu'on les a bien données. Les 6 préfectures d'île-de-France font pareil !
Nous travaillons avec des avocats pour les recours contre les refus de titres de séjour et les OQTF.
Il y a aussi les demandeurs d'asile déboutés. Nous les aidons à faire un recours contre l'OQTF qui est prononcé avec le refus de l'asile, d'autant que, parfois, en écoutant certains aspects de leur vie, on s'aperçoit que les Tribunaux Administratifs pourraient annuler l'OQTF  - par exemple parce qu'ils doivent recevoir des soins urgents, ou bien pour attendre la décision de l'OFPRA concernant la demande d’asile de leur fille pour laquelle il y a un risque d'excision dans le pays de renvoi.

Et quid des IRTF (interdiction de retour sur le territoire français) ?
Les demandeurs d'asile déboutés reçoivent une OQTF "normale". 5 ans plus tard, leur vie a changé et ils ont peut-être un peu plus de chances d'être régularisés. Beaucoup font donc une demande de titre de séjour. Mais s'il y a refus, il sera alors assorti d'une OQTF et, automatiquement d'une IRTF (d'une durée de 1, 2 ou 3 ans) puisque c'est une 2e OQTF.
Jusqu'en 2016, les personnes qui ont juste demandé un titre de séjour voyaient leur OQTF s'effacer au bout d'un an.
La nouvelle loi permet d'ajouter une IRTF à l'OQTF puisqu'il y a déjà eu une première OQTF dans le passé…
Maintenant, ça y est, on ne voit plus jamais de 2e OQTF sans IRTF.
En Seine-Saint-Denis, on vient de voir une personne qui a déposé une première demande de titre de séjour et qui se retrouve avec OQTF+IRTF.
Il faut le dire, c'est quand même un choix des préfets, ils n'y sont pas obligés !
Et cette pratique des préfectures me "froisse", pour rester polie…

Une autre catégorie de personnes viennent à nos rendez-vous d'équipe "Expulsion-Bannissement" : des gens qui sont contrôlés dans la rue sans titre de séjour. Ils sont embarqués au commissariat puis se voient octroyer automatiquement un OQTF+IRTF avec un délai pour quitter la France dans les 48 h et un délai de recours de 48h (avant le week-end, ça finit quand même le dimanche soir !) Ils ont beau affirmer que leur enfant est français, que… on ne les croit jamais. Beaucoup de gens sortent sans leur livret de famille dans la poche …

L'IRTF : on ne peut pas s'en débarrasser !
Quelques années après l'arrêté préfectoral d'IRTF, si la personne est maintenant en situation d'obtenir un titre de séjour de plein droit, on fait une demande d'abrogation à la Préfecture.
On l'a fait pour les « doubles peines » maintenant on le fait aussi pour des IRTF.
Il faut vraiment réaliser que le chrono ne décompte qu'à partir du moment où la personne fait viser son arrêté (OQTF + IRTF) à la frontière entre la France et le pays de renvoi et/ou au Consulat de France dans le pays de renvoi (il vaut mieux faire les 2 démarches).
Tant qu'on n'est pas parti, on ne peut absolument rien faire, les années passées sur le territoire français ne sont plus du tout comptées pour le droit au séjour. Il n'y a que la demande d'abrogation comme perspective. 
Pour l'instant, on manque de recul pour savoir comment les préfectures vont répondre.

Le pôle "Éloignement" reçoit toutes les fins de parcours, les situations impossibles… Ça fait 10 ans que je fais cet accompagnement. Pour tenir le coup, nous, bénévoles, nous misons sur le "compagnonnage" : ce n'est pas de l'"analyse de pratique" à proprement parler, mais pour se tenir les coudes, en équipe.
Ce qui est spécifique à La Cimade, c'est ce coté amical et convivial, vrai, sincère, on crée des liens. On se doit d'être le mieux possible entre nous pour pouvoir accueillir le mieux possible les personnes. J'ai trouvé, comme nulle part ailleurs, de la tolérance à l'égard de l'autre, un "a priori" favorable…
Ceux qui viennent voir La Cimade ont déjà tout essayé, ils la voient comme une association forcément honnête, clean, et l'histoire de l'association n'est pas banale : on a affaire à des "résistants" !

Propos recueillis par Marion Rouillard


Le bannissement


Le mois dernier, La Cimade a envoyé à ses donateurs, donatrices, et symathisant·e·s une vidéo visant à expliquer en des termes simples les enjeux autour du bannissement.

Découvrez cette vidéo :

Vidéo bannissement

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